Carême 1993 :A Dieu seul la gloireAUJOURD’HUI, CROIRE Pasteur Jean-Pierre MONTSARRAT , I , "Père, glorifie ton nom !" Avant d’aborder ce premier thème, quelques mots d’introduction sur l’ensemble de ces prédications de Carême. Je me propose de répondre à la question : comment puis-je dire et confesser la foi chrétienne aujourd’hui ? J’imagine que vous m’interrogez sur mes convictions et que je dois vous répondre. Vous savez qu’après m’avoir écouté vous pourrez engager un vrai dialogue en réagissant à mes propos sur minitel. Vous me direz vos accords et désaccords. Vous me poserez vos questions. J’espère beaucoup pouvoir bénéficier de vos contributions pour nos derniers entretiens. Je vais m’exprimer en mon nom propre. La foi nous engage au plus profond de nous-mêmes. Témoigner de ses convictions, ce n’est pas réciter un catéchisme. C’est dire ce que l’on croit, sans tricher avec ses questions, ses ignorances, et ses doutes. En ce domaine chacun parle à ses risques et périls en quelque sorte. Pourtant, mon ambition est bien de tenter de dire la foi proclamée par les apôtres, la foi à laquelle rendent témoignage les Ecritures telle que nous la comprenons dans les Eglises issues de la Réforme. L’Evangile ne s’invente pas ; il nous a été transmis depuis le premier siècle par les générations de croyants qui se sont succédés jusqu’à aujourd’hui. Chacun d’entre nous le reçoit à son tour par cette chaîne de témoins qui remonte jusqu aux apôtres Nous avons maintenant à le faire nôtre, à en vivre et le transmettre à notre tour Ainsi chaque époque, chacun d’entre nous est appelé à découvrir l’Evangile. Il est appelé à dire, personnellement à sa manière, la foi et l’espérance telles que l’Evangile les a fait naître en lui. Tel est mon propos au cours de ces entretiens de Carême. Comment vais je traiter mon sujet ? Pour tracer l’itinéraire que je vais parcourir, j ai choisi deux repères. Le premier : la Fédération Protestante de France a réalisé une petite brochure à l’intention de ceux qui s’intéressent à elle. L’un des chapitres s’intitule : les six thèmes majeurs de la foi protestante. Ce sont les données essentielles de la foi chrétienne (les protestants sont bien des chrétiens !) telles que les Eglises membres de la Fédération Protestante les formulent, avec l’accent qui leur est propre, au sein de l’Eglise universelle. Ces thèmes sont : la gloire de Dieu, la grâce la foi, l’Eglise, les Ecritures, le service de la communauté. Chacun de nos rendez vous portera sur l’un de ces sujets. Le deuxième repère : chaque thème sera développé à l’écoute des récits de la Passion dans l’évangile selon saint Luc et l’évangile selon saint Jean. Vous savez que ces récits sont ceux qui racontent les adieux de Jésus aux disciples, son arrestation, son jugement, sa condamnation et son exécution. Nous lirons aussi l’un des récits qui attestent sa résurrection. Pourquoi dans les Ecritures avoir choisi ces récits-là ? Certes, ils sont particulièrement appropriés à ce temps du Carême, ces quarante jours qui préparent à la célébration du Vendredi saint et de Pâques. Mais tel n’est pas, toutefois, l’essentiel. Je les ai choisis parce qu’ils nous situent au cœur de la foi chrétienne ; ils forment ce que j’appellerais volontiers le noyau dur de l’Evangile. Voici trois illustrations de mon affirmation. 1. Lorsque l’on lit les lettres que l’apôtre Paul adresse aux communautés qu’il a fondées, on constate qu’il est pratiquement silencieux sur le ministère de guérison et de prédication de Jésus. On est frappé, par contre, par l’importance qu’il donne à la mort et à la résurrection du Christ. Il s’attache à peu près exclusivement à développer les conséquences de la croix et de l’événement de Pâques. On peut penser que sa prédication orale mettait la même insistance sur la mort et la résurrection. Dans la lettre aux Galates, il s’étonne que ses correspondants aient pu si rapidement oublier le message qu’il leur avait annoncé pour s’attacher à un autre enseignement que le sien et il évoque ce que fut sa prédication en ces termes : "Vous, dit-il aux Galates, aux yeux de qui a été dépeint Jésus crucifié". L’expression est saisissante : pour annoncer l’Evangile, Paul faisait une peinture, verbale bien entendu, du Christ en croix tellement l’Evangile et la croix s’identifient l’un à l’autre pour lui. Quant à sa prédication à Corinthe, elle aussi, nous la connaissons à travers le témoignage de Paul lui-même. Je cite 1 Corinthiens 2/1s : "Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu. Je n’ai pas jugé bon de savoir autre chose parmi vous sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié". 2. Les quatre évangiles témoignent aussi de leur côté de l’importance primordiale de la passion et de la résurrection pour la foi chrétienne. Voyez la place que prennent, dans chacun, les récits d’adieux aux disciples, l’arrestation, le jugement, la condamnation et l’exécution du Christ. Tous les quatre font un récit continu de ces dernières vingt-quatre heures de la vie de Jésus avec une ampleur dont ils n’usent pour aucun autre moment de son ministère. Et si vous prenez chaque évangile séparément, vous pourrez constater que chacun de son côté a été composé et écrit pour conduire son lecteur à ce dénouement de la croix comme au point culminant du message à recevoir et à transmettre. Ainsi l’évangile selon saint Luc, avant de débuter le récit du ministère de Jésus, raconte la triple tentation de Jésus au désert : comment le diable le pousse à changer des pierres en pain pour se nourrir, à se confier à lui pour gagner l’empire du monde, à compter sur la protection divine pour échapper à tout mal en se jetant du faîte du Temple de Jérusalem. Jésus ne cède à aucune de ces tentatives de séduction et Luc conclut le récit ainsi : "Le diable s’écarta de lui jusqu’au moment fixé". Quel est ce moment auquel Luc fait allusion ? Si nous poursuivons la lecture de l’Evangile, il nous faut enjamber le ministère de Jésus en Galilée et en Judée et aller jusqu’au début de la Passion pour que le Diable réapparaisse sous le nom de Satan : "La fête des pains sans levain, qu’on appelle la Pâque, approchait. Les grands prêtres et les scribes cherchaient la manière de supprimer Jésus... et Satan entra dans Judas appelé Iscariot" (Luc 22/1-3). Le Diable reprend alors son combat contre Jésus et le poursuit jusque sur la croix. C’est sur la croix que le Christ l’emporte définitivement. C’est alors, et alors seulement, que son ministère de guérison et de prédication en Galilée et en Judée prend sa dimension universelle et sa portée définitive. 3. Une dernière illustration de mon propos avec le symbole des apôtres. Le deuxième article, celui consacré au Christ, est le plus long, Il prend la forme d’un récit : "conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie, il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli, il est descendu aux enfers ; Je troisième jour, il est ressuscité des morts, il est monté au ciel, il siège à la droite de Dieu le Père tout-puissant... ". Le récit mêle, certes, les cieux et la terre, les faits qui appartiennent à l’histoire et ceux que seule la foi discerne. Mais, au centre de l’article, se trouvent bien énumérés la souffrance, Ponce Pilate, qui a prononcé et fait exécuter la peine, la croix, la mort et l’ensevelissement. La foi chrétienne est ancrée dans ces événements-là . La condamnation et l’exécution de Jésus ne furent sur le moment rien de plus qu’un fait divers sans importance dans un coin obscur de l’empire romain. La poignée d’hommes et de femmes que Jésus avait appelés à le suivre pensèrent que sa mort signifiait l’échec de son ministère. Ils furent bouleversés par la rencontre de leur Maître vivant au lendemain de son ensevelissement. Ils comprirent alors et proclamèrent que ses souffrances et sa mort transformaient le sort de l’humanité, de la création toute entière et qu’une immense espérance était née. Ainsi a commencé la prédication de l’Evangile. Aujourd’hui encore, connaître cet Evangile, c’est s’attacher à découvrir avec les premiers témoins, à la lumière de la résurrection, le sens du ministère, de la passion et de la mort de Jésus. -o- Nous abordons maintenant le premier thème retenu par la Fédération Protestante pour caractériser la manière dont les Eglises de la Réforme confessent et vivent la foi chrétienne : "A Dieu seul la gloire !". La plaquette de la Fédération commente cette exclamation de la manière suivante : "...En dehors de Dieu rien n’est sacré, divin, absolu. Nous devons donc être vigilants envers tout système, parti, valeur, idéologie, entreprise humaine prétendant revêtir un caractère absolu, intangible ou universel". La souveraineté de Dieu sur nos vies, sur le monde est une affirmation constante des Ecritures. Cette affirmation nourrit la louange des psaumes : "Acclamez Dieu, gens du monde entier, La conclusion du "Notre Père" nous conduit aussi à dire la gloire de Dieu chaque fois que nous prions l’Oraison dominicale : Cette gloire souveraine de Dieu a bien pour contrepartie le fait que Dieu seul peut exiger de nous une obéissance, une loyauté sans restriction. Il arrive que l’on comprenne la fameuse parole de Jésus : "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" comme une légitimation du partage de nos vies entre deux loyautés, César d’un côté, Dieu de l’autre. C’est une erreur. A la lecture de l’ensemble du récit (Luc 20/20-26), on s’aperçoit que "ce qui est à César", c’est la pièce de monnaie à son effigie qui doit servir à payer l’impôt. Jésus invite ses interlocuteurs à se déposséder de cette pièce qui ne leur appartient pas et à consacrer l’ensemble de leur vie au seul qui a un droit sur eux, Dieu. Mais nous n’avons pas tout dit de la gloire de Dieu en l’identifiant à sa puissance souveraine. Ecoutons la lecture choisie pour ce premier entretien. Le passage de l’évangile selon Saint Jean que nous allons écouter fait partie de l’introduction au récit de la Passion. La scène est à Jérusalem, à la veille ou presque de l’arrestation du Christ. La ville est envahie par la foule des pèlerins venus pour la fête de la Pâque. Parmi eux, il y a non seulement des juifs de tout le bassin méditerranéen, mais aussi des non-juifs, des sympathisants. De leur nombre sont les grecs mentionnés au début de la lecture. Jean 12/20-33 Vous l’avez entendu, en répondant à André et Philippe, Jésus ne se prononce pas sur la requête des grecs qui demandent à le voir, mais il s’exprime sur le moment qu’il vit et qu’il va vivre. "L’heure est maintenant venue... ". De quelle heure s’agit-il ? A plusieurs reprises dans l’évangile, il est question de cette heure de Jésus. Du commencement de l’évangile jusqu’au chapitre 12, il en est question pour constater qu’elle n’est pas encore arrivée. Ainsi nous lisons en Jean 7/30 que Jésus enseigne dans le Temple, disant qu’il est l’envoyé de Dieu ; les chefs du peuple cherchent à l’arrêter, mais, nous dit l’évangéliste, "personne ne porte la main sur lui parce que son heure n’est pas arrivée". Ce texte éclaire l’expression. L’heure, l’heure de Jésus est celle de son arrestation et de tout ce à quoi l’arrestation va conduire, la condamnation et la mort. En disant à Philippe et André que son heure est venue, Jésus annonce que le dénouement de son ministère est imminent, que le moment de la fin est arrivé. Pour évoquer ce dénouement, les quelques versets que nous venons de lire conjoignent deux thèmes, celui de la mort et de l’angoisse que la mort fait surgir en Jésus, et celui de la gloire. Et ces deux thèmes, au lieu d’être mis en opposition l’un à l’autre, comme on oppose défaite et victoire, ténèbres et clarté, mort et vie, ces deux thèmes sont identifiés l’un à l’autre : la souffrance et la mort de Jésus sont sa gloire. Comment cela est-il possible ? Regardons les choses d’un peu plus près. L’imminence d’une mort avec laquelle Jésus ne triche pas est évoquée au verset 27 : "Maintenant mon âme est troublée. Et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ?". Jésus est saisi d’angoisse à l’idée de ce qui l’attend. Nous sommes toujours tentés de sous-estimer, de gommer la pleine humanité du Christ, de penser que, puisqu’il pressentait, savait l’issue de son ministère, il a pu vivre avec une certaine distance l’épreuve dans laquelle il s’est trouvé plongé. Or, les quatre évangiles nous disent qu’il n’en fut rien. Les trois premiers s’accordent pour évoquer une prière solitaire prononcée dans le jardin de Gethsémané juste avant l’arrestation. "Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe !". Le quatrième évangile nous dit, lui, que Jésus a exprimé l’angoisse qui l’avait étreint au milieu de ses disciples et de la foule qui circulait autour de lui. Or, cette mort devant laquelle il frémit, non seulement Jésus l’accepte, mais il la veut comme l’aboutissement indispensable pour que son ministère porte du fruit. Il le dit à travers la parabole de la graine : Quel est le fruit de sa mort ? Là encore, notre texte nous donne la réponse : C’est par sa mort sur la croix que le Christ est vainqueur du Prince de ce monde, un autre mot pour Satan, l’Ennemi qui salit, abîme et menace de détruire la création de Dieu et dont les hommes sont complices par leur violence, leur injustice, leur mensonge. Une fois l’Ennemi vaincu par la croix, l’humanité entière sera rassemblée autour de la croix. L’événement de la croix a une double dimension : défaite de Satan et réunion de l’humanité dans la communion du Fils. La gloire de Dieu, c’est cette double victoire du Fils sur la croix. La gloire du Père est aussi celle du Fils. Je relis la première phrase de notre texte : "Le Fils de l’homme" est une expression dont Jésus se sert pour se désigner lui-même. L’élévation du Fils de l’homme n’est pas celle de la résurrection et de l’ascension. C’est l’élévation sur la croix autour de laquelle il attirera à lui l’humanité toute entière. Les grecs qui demandent à Philippe de voir Jésus sont les prémices de tous ceux qui viendront de l’orient et de l’occident, du nord et du midi. On songe à la vision de l’auteur du livre de l’Apocalypse : Pourquoi faut-il que Jésus meure pour que s’accomplisse ce rassemblement de l’humanité dans la paix et dans l’amour ? Comment expliquer que la gloire de Dieu soit liée à la croix ? Comment la défaite devient-elle victoire ? Comment la mort devient-elle la vie ? Cette question est au centre de la réflexion et des écrits du Nouveau Testament. Pour l’évangile selon Saint Jean, en Jésus, Dieu a revêtu notre humanité, il s’est fait homme pour porter nos détresses, porter le poids du péché du monde, ses violences et ses injustices, ses égoïsmes et ses haines. En venant parmi nous, il s’est engagé jusqu’à la mort pour notre pardon et notre délivrance. C’est en partageant notre humanité jusque sur la croix qu’il est venu à bout de tout ce qui nous écrase et qu’il assure le triomphe de la vie. C’est là , nous dit l’évangéliste, le choix et l’œuvre de son amour. Sa gloire, c’est d’avoir "mis le comble à son amour" (Jean 13/1) pour nous de cette manière-là . Que de fois l’on a cru que, pour exalter la gloire de Dieu, il fallait abaisser l’homme, comme si Dieu était d’autant plus grand que l’homme était plus petit et plus misérable. On a même cru que la gloire de Dieu se nourrissait de la souffrance des hommes. L’Evangile nous dit, bien au contraire, que Dieu a mis sa gloire et son honneur à venir partager notre sort jusque dans la mort elle-même pour nous arracher à elle et nous attirer à lui. Au lieu de nous écraser de sa puissance, de nous anéantir par son jugement, de nous aveugler par l’éclat de sa sainteté, Dieu met sa gloire à s’abaisser jusqu’à nous, à devenir en Christ notre prochain, à porter jusque sur la croix l’hostilité à laquelle il s’est heurté pour nous ouvrir un avenir de liberté, de paix et de vie en communion avec lui. On a cru que, pour conduire au Christ, il fallait menacer les pécheurs, inspirer la terreur d’un Dieu qui juge et qui châtie. Or, c’est par l’offrande de sa vie sur la croix que le Christ appelle à lui et rassemble. C’est parce qu’il nous a ainsi aimé que nous mettons en lui notre foi et notre espérance. C’est parce qu’il est, seul, le salut du monde que nous confessons, face à tous ceux qui prétendent régner sur les esprits et les cœurs, "A Dieu seul la gloire !". |