Carême 2003 : La Pierre et la Foi

Au delà du voile

B - Asseyons-nous là un peu à l’ombre sur le bord du chemin. ..
Tiens, dessine moi dans la poussière du chemin comment tu représenterais le monde qui nous entoure. Dessine le dans toutes les dimensions que nous connaissons.

M - Je divise un rectangle dressé verticalement en trois parties horizontales superposées. Dans la partie haute j’y place la coupole des cieux, et tous ce qui est divin qui nous viens du Seigneur et de ses angesainsi.

En-dessous j’y place le carré de notre monde terrestre, puis enfin tout en bas une bande plus étroite. C’est le monde d’en bas, qui nous est invisible mais où demeure Satan, le Mal et la Mort.

B - As-tu remarqué que nos églises sont construites exactement selon ton schéma ?
Coupoles et voà »tes, qui sont l’image du cercle divin, posées sur le cube dont la base carrée symbolise le monde : les 4 points cardinaux, les 4 fleuves du jardin d’Eden, les 4 cavaliers de l’apocalypse. Le 4 représente le monde terrestre.

Et enfin la crypte : l’infra monde, le monde de la nuit, qui côtoie le malin.

Maintenant sur ton schéma, place l’origine du bien et du mal.

M - Le bien vient d’en haut à droite et descend vers la gauche. C’est la lumière et les bienfaits de Dieu qui nous illuminent.
Le mal et la tentation montent d’en bas à gauche vers la droite.

B - Hum C’est bien cela, cette diagonale qui traverse les trois niveaux de notre monde : l’axe du Bien et du Mal qui se rencontrent au centre de l’image, symbole de notre espace terrestre en difficile équilibre entre ces deux forces.

M - Maître n’est-ce pas ce même axe qui traverse nos églises lorsque le maître d’œuvre aligne l’oculus au sommet de la voà »te avec un puits ou la marque symbolique d’une ouverture dans le sol, vers la crypte, pour signifier le passage entre les trois niveaux de notre monde : le spirituel, le terrestre et le chtonien.

B - Assurément Le découpage du monde, que tu transposes sur le parchemin ou la pierre, que tu retrouves dans les édifices architecturaux, n’est pas simplement un schéma de composition codifié arbitrairement par nos maîtres. Le fondement de nos compositions répondent à des archétypes et des symboles profondément ancrés en chaque individu. Ces images qui jaillissent de l’inconscient collectif qui nous vient de la nuit des temps, dépassent les frontières des civilisations. La gauche, sinistra en latin ; la droite, habile et rectiligne et juste, le haut, aérien, céleste, lumineux ; le bas obscur, inquiétant, lourd comme la glèbeet tant d’autres choses autour des couleurs, des chiffres, des formes.

M- Vraiment ? Nous portons en nous et comprenons les mêmes images que les peuples étranges des confins du monde ? Avec leurs manières et leurs charabias si extraordinaires et incompréhensibles ?

B- Bien plus qui tu ne peux l’imaginer !. Tu vois, entre le 1er et 8ème siècle l’influence orientale byzantine avec son héritage gréco-romain nous a profondément marqué. Puis l’avancée Arabe nous a apporté des matériaux iconographiques et religieux venant de Mésopotamie d’une part et d’Egypte d’autre part. Les Arabes ont passionnément étudié les cultures anciennes et grâce à de nombreux contacts commerciaux ont apporté à notre Europe tout un matériel iconographique qui nous manquait.

M - Ah oui ? Quoi, par exemple ?

B - Beaucoup d’apports architecturaux modifiés déjà par les Arabes ou les Syriens avant d’arriver chez nous : le cube surmonté de la coupole, l’idée du centre, la voà »te, la basilique à trois absides. Des thèmes et mythes : les motifs végétaux, les animaux doubles, le cercle, les thèmes apocalyptiques, l’arbre de vie, les zodiaques.

La manière de représenter le Christ ou le démon indique l’influence d’origine : l’influence copte et grecque produit un Christ beau imberbe, successeur d’Apollon ou Dionysos.
Si l’influence est mésopotamienne, syrienne, le Christ sera très oriental, barbu, souffrant, réaliste

Quant au démon, si l’influence est grecque et copte, ce sera une multitude d’animaux plutôt séduisants, tarabiscotés, entrelacés qui servent si bien l’enluminure. L’influence Mésopotamienne apporte le visage grimaçant du dieu Pazuzu, plus ou moins ailé et qui représente tout ce qui est monstrueux et laid. Pense aux tympans du jugement dernier du 12ème siècle.

Tous ces apports nouveaux et surtout la rupture de 1054 avec Byzance ont permis cette autonomie et ce jaillissement de créativité du christianisme occidental. Toute la construction de ce langage, de cette pensée symbolique s’est fait du 10ème au 12ème siècle.

L’homme de notre époque médiéval est entièrement en communion avec la nature et ce langage symbolique qu’il comprend et ressent dans sa vie de chaque jour est peuplé d’images qui le hantent ou qui le charment.

M- Oh ! qu’est ce qu’il est bôoooo !

B- Oui, en effet, avec son enracinement dans le sol, sa ligne élancé vers le ciel, l’arbre, et plus particulièrement le cyprès, est le symbole même de l’élévation spirituelle.

M - Mais non, je vous parle de ce jeune homme, ce berger là -bas. Maître, pendant que vous vous reposez ici, j’irai faire quelques croquis de lui. Ils nous serviront pour le bas relief de l’histoire du Roi David

B- Hum ! Il est temps de reprendre la route, jeune fille !!
Hâte le pas ! On nous attend à la bibliothèque du monastère où l’abbé vient de recevoir un psautier précieux que je suis impatient de voir Hmm !

§§§§§

B- Toutes ces merveilles ! Ici se trouvent les œuvres parmi les plus belles d’Europe, des enluminures les plus raffinées.

Ah ! Regarde cette miniature qui date du 12ème siècle. Elle est tout à fait remarquable par sa construction typique et parfaitement maîtrisée. C’est un dernier repas, une Cène extraite de plusieurs évangiles comme cela se fait beaucoup depuis le 11ème siècle : Luc pour une certaine " ambiance apostolique ", Matthieu pour le moment où Judas plonge la main dans le plat avec le Christ, et Jean pour le disciple bien aimé couché contre Jésus, ou bien Judas à qui Jésus donne lui-même la bouchée.

M- Oui, elle ressemble à bien d’autres. Une table longue, des éléments de repas épars. Jésus et les disciples derrière la table et Judas, devant à part, entre la table de communion et le spectateur.

B - C’est le moment où Jésus ayant annoncé la trahison de l’un d’entre eux, les disciples se disent l’un à l’autre " est-ce moi ? ".
Regarde, on voit sur la miniature l’expression d’interrogation des disciples !

A première lecture, nous voyons une organisation de haut en bas de six niveaux horizontaux superposés qui divisent le monde entre le spirituel, le terrestre et l’infra-monde :

En haut : un bout de ciel, des toits ( la Jérusalem céleste), une coupole qui recouvre la chambre haute indique et sépare les cieux de la maison et du monde.

En dessous, au deuxième niveau, nous sommes à l’intérieur de la chambre haute : deux voà »tes sous le toit soutenu par trois piliers. On peut considérer que les têtes du Christ et des disciples sont comprises dans ce niveau.

Nous sommes dans la jonction entre le terrestre et le spirituel. Ceci est indiqué par les nombres (3), les formes (voà »tes)et les couleurs (bleues) employés.

Au troisième niveau, les corps des personnages. Nous sommes dans le terrestre, la matière, la contingence.

M - Le niveau 4 serait la table, c’est à dire le repas pascal ?

B - Exactement ! Un repas de la Pâque, dans la tradition judaïque.
Le niveau 5 comprend le bas de la table, les pieds des disciples et le sol.

Et enfin en 6 on a l’impression d’un sous sol ou soubassement comprenant le bas des piliers, où s’appuie également Judas : le fond du monde.

Cette organisation de l’illustration paraît simple et logique et ressemble finalement à bien d’autres. Mais grâce à elle nous pouvons lire beaucoup plus d’éléments qui nous en disent long sur la théologie que l’artiste à voulu exprimer ici.

Judas, le pied sortant même du cadre de la miniature, est dans l’angle gauche, parfaitement tendu, par son geste, sur la diagonale de l’image.

Il tend le bras révélateur -( " C’est celui qui mettra sa main avec moi " Matt 26 v 23)— et saisit un poisson pendant que Jésus en saisit un autre, toujours sur cette même diagonale, mais en sens inverse. L’auteur nous signifie ainsi que Satan est déjà là , entré en Judas comme le dit le texte de l’évangile de Luc 22 au verset 24. La direction du bien et celle du mal.

M - Parce qu’il est en bas à gauche, Judas en position qu’occupe le mal, pourrait même être Satan.

B - Exact ! Regarde : Au dessus, la table avec des mets terrestres, d’une sobriété intéressante, sans aucune trace d’hostie Au XII ème siècle, pourtant, l’usage exclusif de cette espèce était répandu pratiquement partout en occident.

On pourrait donc voir ici un repas de Pâque juive ordinaire dans la tradition Lucanienne sans l’Eucharistie centrale comme chez Matthieu. Seule la cruche et la coupe de couleur rouge (l’amour divin) semblent s’en détacher.

M- La cruche et la coupe qui contiennent le vin, donc le sang du Christ, sont plus hautes qui le niveau de la table et passent dans la bande numéro 2 qui accueille tout ce qui touche au spirituel dans cette image.

B- Les " espèces ", comme l’on dit pour le pain et le vin de la communion, seraient comprises comme éléments spirituels et non comme éléments matériels à transformer par les paroles du prêtre. C’est une possibilité.

M- Mais c’est hérétique Maître !

B- Peut-être. Je le crois d’ailleurs. C’est pour cela que je voulais te montrer cette miniature que je connaissais.

L’inquisition, en ne voyant au premier coup d’œil qu’une Eucharistie comme les autres n’a pas prêté plus attention que cela à cette image parmi toutes celles produites durant ce XII ème siècle.

M- Vous voulez dire que des images qui semblent anodines peuvent cacher des thèses hérétiques où l’on ne croit pas à la transsubstantiation ?

B- Oh oui, vois-tu ; et ces représentations sont beaucoup plus nombreuses que tu ne le crois. C’est le moment où les Cathares ont été poursuivis, brà »lés au bà »cher ; ces thèses ont circulé, sont passées dans les illustrations et sont comme une revendication discrète d’une théologie différente, hérétique si tu veux, mais clandestine par la force des choses.

On peut trouver des dizaines, voire des centaines d’illustrations, de sculptures, qui disent tout bas ce que des milliers de gens pensaient tout haut, à leurs risques et périls.
Ces illustrations ont réussi à se faire prendre pour des apologies de la Sainte Eucharistie et ainsi être admirées par l’Eglise pendant que des gens étaient brà »lés pour leur foi.
Beaucoup d’artistes, y compris de nombreux moines, copistes et illustrateurs ont échappé à cela.

M- Mais Maître, c’est hérétique.

2
L’EXEGESE A LA CROISEE DES SIECLES

La réflexion actuelle sur notre civilisation nous permet de savoir qu’une image reçue marque plus fortement l’esprit qu’une explication : l’adage " un bon croquis vaut mieux qu’un long discours " prend ici toute sa valeur. Mieux, les études actuelles mettant en lumière l’impact psychologique en deçà de la conscience, que produisent les images sur le cerveau : elles vont s’imprimer profondément, tant dans la mémoire que dans le subconscient, donnant ainsi l’impression que l’on connaît bien tel visage, tel sujet, telle histoire même si l’on a pas longuement " planché " sur ce sujet ou vécu avec cette personne. Quel enfant de l’école biblique n’a pas en tête, une fois adulte, quarante ans plus tard, l’histoire de la bible que lui racontait sa monitrice, associée aux visages coloriés ou recopiés des manuels, bibles illustrées ou fascicules qu’il avait sous les yeux à ce moment là  ? Quel enfant aujourd’hui ne s’associe-t-il pas totalement aux fictions télévisées dont il va être abreuvé, voire saturé à longueur d’après-midi ou de soirées ? Les récentes études, analyses et rapports parlementaires mettent en évidence les comportements criminels d’enfants ou d’adolescents liés à l’intégration d’histoires violentes ou sordides vues à la télévision ou au cinéma, comprises comme la norme, la réalité à vivre dans son environnement quotidien.

La relation à l’autre en est profondément transformée, largement au delà des principes d’éducation proposés par la famille, l’école, ou la société. L’influence délétère des images pornographiques créent actuellement une génération de jeunes gens et de jeunes filles qui n’auront pas eu le temps de découvrir les émotions de l’approche de l’autre, privés d’une expérience sensuelle, sensitive, personnelle, dans la rencontre intime de l’être aimé, écrasée et piétinée par des images violentes et obscènes qui oblitèrent toute construction imaginative des émois et de l’univers amoureux.

L’absence de langage ou d’expression verbale à cet égard est tragiquement handicapante.
Les protestants l’avaient compris, qui dès le 16ème siècle, ont mis toute leur énergie à éduquer leurs enfants par la lecture et l’écriture.

Les anciens l’avaient bien compris : privé de la lecture et de l’écriture un peuple est handicapé dans la transmission des idées, des émotions, des revendications ; privé de culture, c’est à dire d’intégration de l’expérience des autres, des précédents, l’homme est le jouet de celui qui " sait ", de celui qui maîtrise les concepts et leurs démonstrations. Privé de moyen de communication, l’homme est à la merci d’un profiteur plus rusé, plus exploiteur qui hiérarchisera les taches ou les profits aux dépens des plus fragiles. On le voit en économie, en vie affective, en politique, en culture.
Les hébreux ont centré leur éducation sur la parole de Dieu, audible dans l’écriture, apprise et transmise.

Le Christ l’avait compris. Aux gens simples, qui n’ont pas accès à l’écriture, au maniement habile des idées, il propose de parler en paraboles, dont nous allons essayer de décrypter le fonctionnement un peu plus loin.

Les artistes et les théologiens du monde médiéval aussi : Sculpter dans la pierre des chapiteaux ou des bas reliefs, les scènes de la bible que le peuple chrétien ne pouvait pas lire dans les ouvrages, trop rares, ou indéchiffrables par ceux qui n’avaient pas accès à l’écriture, permettait à tous de comprendre, de commenter les épisodes de cette longue histoire et d’en devenir les familiers. L’image en étant regardée, commentée, décortiquée n’avait pas la même fonction sclérosante que l’actuelle image télévisée qui nous laisse passifs dans sa réception.

Si notre réflexion nous pousse à dire que nous voyons une analogie entre la parabole et le symbole, nous ne faisons pas l’impasse sur l’image ; en dénonçant l’utilisation tordue et orchestrée des images, comme on l’a entendu un peu plus haut, nous affirmons cependant qu’au moyen de symboles archaïques et universels, l’accès à la compréhension des choses cachées est possible au plus grand nombre.

Si tant est qu’on ne regarde pas l’image, taillée ou non, comme l’idole - ce dont nous garde l’Ecriture dans les dix commandements1, on peut pénétrer dans un monde multiforme, où le regard de chacun vient s’entrecroiser avec le regard de l’artiste.

Car nous sommes bien au cœur de l’exégèse : tout tableau, toute représentation n’est qu’une interprétation d’un fait décrit dans l’écriture, qu’une explication -parmi d’autres- d’un passage biblique, éclairé par l’artiste, qui use d’un parti pris personnel et affirmé pour dire ce qu’il a entendu ou compris des textes que les pères ont transmis de génération en génération.

Déjà , si les hommes et les femmes de la première église ont sélectionné quatre textes d’évangile - parmi les nombreux qui ont été produits jusqu’au 4ème siècle - c’est d’abord pour dire qu’on ne peut enfermer la parole de Dieu et le sens de son message en une seule vision, dogmatique, bouclée, étanche à toute autre interprétation : Non pas que le point de vue de Matthieu Marc, Luc ou Jean soit partial ou partiel, mais qu’aucun d’eux ne peut résumer l’incommensurable. Aucun ne peut dire Dieu dans sa totalité, aussi fidèle soit-il. Comme l’auteur hébreu de peut résumer, donc réduire et abîmer, le nom du Dieu vivant en un seul mot : du coup il ne le prononce pas, il dira " mon Seigneur " Adonaï.

Le symbole, semble-t-il, comme la parabole a cette vertu d’être donné pour être décortiqué par celui qui le reçoit. Le symbole a une vertu dynamique qui oblige à la réflexion et à la production de la suite de l’histoire, tout comme l’image, qui au moyen age était commentée, explorée à l’instar, du temps plus récent, de la salle de cinéma muet, où l’assistance toute entière, où le public tout entier, dans un élan bruyant et emporté, prenait partie pour les héros, faisant parler les bons et les méchants, pour protéger les uns et vouer les autres aux gémonies.

Jésus, quand il nous parle en paraboles, accepte que l’histoire ne soit pas finie, que l’auditeur qui en a capté le sens ou le propos se révolte, approuve, désapprouve et entende ainsi, selon ce qu’il est, que Jésus lui souffle à l’oreille la piste à suivre dans sa vie, aujourd’hui, au moment où il écoute le MAITRE, et où celui-ci s’adresse personnellement à lui.

§§§§§

On n’emprisonne moins la parole de Dieu quand on la porte par la parabole ou le symbole. Le symbole prend une vie autonome, tout comme la parabole, il échappe aux dogmes et aux catégories. L’Esprit lui-même a encore cet espace où souffler à nos contemporains.

Ecoutons le 2ème livre de Samuel, au chapitre 12 :

Mais ce que David avait fait déplut au Seigneur. 1 Le Seigneur envoya donc le prophète Natan auprès de David. Natan entra chez le roi et lui dit :

" Dans une ville, il y avait deux hommes, l’un riche et l’autre pauvre. 2 Le riche avait de grand troupeau de bœufs et de moutons. 3 Le pauvre ne possédait qu’un seule petite brebis qu’il avait achetée. Il la nourrissait et elle grandissait chez lui, en même temps que ses enfants. Elle mangeait le même pain et buvait le même lait que lui, elle dormait tout près de lui. Elle était comme sa fille. 4 Un jour un visiteur arriva chez le riche. Celui-ci évita de prendre une bête de ses troupeau pour le repas ; au contraire il pris la brebis du pauvre et l’apprêta pour son visiteur. "
5 David entra dans une violente colère à l’égard du riche et dit à Natan :
- Que le Seigneur vivant m’entende : l’homme qui a fait cela mérite la mort !
6 Puisqu’il a agit ainsi, sans pitié, il remplacera la brebis volée par quatre autre brebis.
7 - L’homme qui a fait cela, c’est toi ! "

La parabole en décentrant juste ce qu’il faut le sujet et l’objet acquiert une puissance que la réprimande ou la condamnation n’aurait pas au dixième.

David, dans ce passage, parce qu’il n’est pas - ou qu’il ne se croit pas - concerné ou visé, garde toute sa lucidité de roi et trouve la sentence adaptée à la situation soumise par Nathan : " il mérite la mort ".

L’écriture, la parole de Dieu, contient en elle-même ses méthodes d’analyse, d’exégèse, de remise en question, d’interprétation. Ce genre d’histoire interne au texte se dit en hébreu " mashal " et donne lieu dans les dictionnaires à toutes sortes de traductions : parabole, comparaison, fable, proverbe, révélation, énigme, pseudonyme, symbole, fiction, exemple, motif, argument, objection, jeu de motsj’arrête là une liste bien plus longue qui sied si bien à la langue hébreu, dont les sens infinis sont dictés par le contexte de la phrase et du mot, donnant une richesse d’interprétation inégalée encore aujourd’hui.

Le terme grec nous aide à avancer plus vite. Para/ ballô c’est à dire mettre en parallèle, est le terme choisie par les juifs d’Alexandrie, en Egypte, lorsqu’ils firent eux-mêmes la traduction en grec, dites des " Septantes " ( La légende dit que sous Antiochus IV Epiphane, 70 sages traduisirent la Thora, les prophètes, les livres de sagesse en 70 jours.).

Jésus a parlé en paraboles, plutôt fréquemment, pour enseigner ses disciples, les foules où même ses détracteurs. L’Eglise, plus tard, a toujours eu du mal à bien interpréter le sens de ces paraboles : en essayant d’un tirer une chute morale, elle a toujours invité à aller dans le sens de l’institution.

Par exemple : Il vaut mieux faire fructifier son argent que le contraire
Il vaut mieux être modeste
Il vaut mieux être gentil
Il vaut mieux être pauvre, car dans le royaume on sera riche.
.etc..
On voit tout de suite l’utilisation qu’à pu en faire la société civile, longtemps dite " chrétienne ".

L’Eglise des hommes à toujours eu tendance à adoucir, à réduire les paraboles de Jésus, à en faire un Jésus gentil quand il était dur ou bien un Jésus dur, moralisant, stigmatisant les péchés là où il nous invite, au contraire à partager un pardon irrationnel et sans limite !

Certaines paraboles étant énigmatiques, les évangélistes vont quelque fois rajouter aux-mêmes une conclusion ! A comparer les histoires de Jésus racontées par Marc ou par Matthieu, on verra que ce dernier met très souvent une pointe, une fin supplémentaire au récit de Marc, tant il a du mal à supporter la radicalité du Christ ou au contraire la liberté qui laisse béante la place des interprétations multiples dont Jésus nous remet la responsabilité. La parabole est toujours une histoire OUVERTE.

Il serait faux de croire que ce sont des histoires simplistes pour des gens simples.
Même si Jésus nous dit qu’il parle en paraboles pour que les intelligents ne comprennent pas (en Matthieu 2, par exemple), il laisse entendre que ce qui l’intéresse c’est l’intelligence du cœur l’intelligence des humbles, et que son enseignement ne pourra ainsi être détourné par les prétentieux ou les sophistes de son époque.

Les paraboles sont difficiles. Ce ne sont pas les plus malins qui vont les comprendre, les plus savants, mais les plus confiants. Ceux qui vont y chercher une logique seront souvent déçus, surpris, voire - obligés de tordre le sens de la parabole, de ne l’utiliser que de manière parcellaire.

Jésus se sert de ce qui choque pour transmettre son message : c’est rarement une morale agréable ou prudente, de bon sens. La chute est inattendue et c’est souvent sur elle qu’il faut travailler pour accéder à l’interprétation où le Maître aime à nous voir naviguer : nous remettre en cause, l’accueillir avec un œil neuf, un cœur nouveau, accueillir l’étranger ou l’ennemi d’hier. C’est dans les paraboles de conflits, d’exagération que se révèle notre but et nos espérances.

Alphonse Maillot, l’exégète bien connu, dit : " l’homme "naturel " ne supporte pas les paroles de Dieu et inconsciemment il les transforme pour les assimiler plus facilement au lieu de se laisser bousculer, transformer par elles. Remettre une dette énorme, accepter de voir travailler la graine de moutarde sans nous, accueillir l’ouvrier de la 11ème heure

A l’image des paraboles, le langage symbolique de la sculpture, de la peinture ou de la gravure renvoient à nos interprétations qui doivent se croiser pour converger vers la profondeur des récits et vers la densité d’une parole de Dieu qui se fait nouvelle à chaque génération.

Interpréter la parole de Dieu, chercher à en comprendre le sens, vouloir trouver comment l’appliquer dans notre vie quotidienne, qui désir plus légitime ?

Le grand courant de pensée réformée a tenté, avec succès, de le faire à partir du 16ème siècle et chacun s’accorde aujourd’hui à louer cette recherche passionnée de la connaissance biblique, de l’approche de Dieu au travers de sa parole, complément indispensable et vivant de l’accueil de la tradition qui passe par l’Eglise.

§§§§§

Au delà du voile, c’est bien ce qui est exprimé au moment de la crucifixion dans l’évangile de Matthieu 3. Dans le temple de Jérusalem, la tradition juive voulait qu’on isole le Saint des Saints, le lieu où devait se tenir Dieu lui-même du reste des mortels : il y avait pour cela un grand rideau qui allait du haut en bas de cet espace sacré entre tous.

Le Dieu, impossible à mettre en image, au risque de tomber dans l’idolâtrie, est caché au monde, caché aux hommes, y compris aux prêtres du Temple ; seul le grand prêtre à droit à y accéder.

Rappelez-vous l’effroi d’Esaïe quand il se trouve face à face avec Dieu : il croit qu’il va mourir. Le Dieu caché d’Israël, à contre-courant des dieux contemporains de cette époque, tous taillés dans le bois ou dans la pierre, sous forme d’idoles, est un Dieu qui se révèle uniquement par sa parole.

La nouveauté, au cœur du monde hébreu, arrive au moment où Jésus expire : le voile se déchire nous dit l’Evangéliste 4, révélant soudain l’image de Dieu en Jésus de Nazareth, crucifié : le Dieu Serviteur, souffrant, offrant cette souffrance au monde pour réconcilier celui-ci avec son principe créateur. Un monde en désordre, qui souffre, relié à son Dieu par celui qui joint la terre au ciel, l’homme à Dieu : le messie, Christos, homme et Dieu.

C’est au-delà de la toile du tableau qui l’on peut également comprendre le sens. On l’a vu par l’expression symbolique, l’utilisation des paraboles, ce qui est visible à l’œil nu peut masquer des perceptions plus profondes de la réalité, ce qui s’entend à l’oreille invite souvent à des voyages plus hardis.

Une fois que l’on a lu " les cieux " dans l’écriture, " shamaïm " (au pluriel exprimant l’indénombrable en hébreu), a-t-on pour autant fait le tour de l’espace et du cosmos proche, a-t-on épuisé l’espace où Dieu se réfugierait à l’abri du regard des hommes ?

Bien sà »r que non. " Les cieux " sont un symbole de l’incommensurabilité de Dieu, de l’espace temps que sont l’infini et l’éternité. Enfermer la parole de Dieu dans nos compréhensions culturelles ou dogmatiques équivaudrait à enfermer l’amour que Dieu nous donne dans le bocal de nos vies étriquées. Prenons un exemple : quand on a un enfant, nous débordons d’amour pour lui. Les jeunes parents peuvent être pris d’angoisse en se disant si on en a deux, trois, voire quatre, devra-t-on diviser cet amour en deux, trois, quatre pour être présent à chacun de nos enfants ? Devra-ton limiter l’affection que l’on a envie d’offrir à chacun ? L’expérience prouve vite qu’il n’en n’est rien : Dieu connaît rarement cette restriction mathématique qu’est la division. On s’aperçoit très vite qu’au moment où l’on croyait ne pas être capable de donner une quantité d’amour plus grande que celle qu’on venait de découvrir, on se trouvait soudain en possession d’un dose incommensurable d’affection à offrir à ses enfants qui arrivent les uns après les autres. Au lieu de diviser cet amour on s’aperçoit alors qu’on le multiplie, ou plutôt qu’il nous est offert multiplié : au centuple, diraient les paraboles de l’évangile. Et l’on comprend soudain la qualité des images offertes par la parole de Dieu. L’amour de Dieu, c’est cela.

Je vois deux risques à vouloir enfermer la parole dans nos limites et quelque dogme religieux que ce soit : la lecture actualisante et la lecture fondamentaliste. Actualisante à outrance elle perdrait sa profondeur, sa capacité à parler aux hommes de ce monde, elle ne répondrait qu’à des cas particuliers techniques comme à un appel d’exorciste sur des cas désespérés de notre existence, dans l’urgence. Cette lecture réduit la force de la profondeur de la Parole. La lecture fondamentaliste, ce serait vouloir limiter la volonté de Dieu à notre imagination fragile, pauvre en espace, triste les jours de pluie : le fondamentalisme bloque l’action, sclérose la pensée, et ridiculise la volonté et l’amour du Dieu Vivant.

Ce serait oublier que la parole de Dieu est libre. Ce serait enfermer la puissance de Dieu dans les limites de notre exégèse, des interprétations fatiguées et étroites qu’auraient suscité nos esprits.

Les rabbins disent qu’il y a sept niveaux de significations pour chaque parole de la bible, chaque passage biblique. Dans la mystique juive on admet jusqu’à 21 niveaux. Sept, nombre de l’accomplissement multiplié par trois, le nombre de la divinité.

Seul le symbole peut initier à l’infini, peut dire l’indicible.
Nommer Dieu, dire YHWH, est impossible, ce serait le ridiculiser, le limite, l’enfermer.

Le paradis, dit encore un autre rabbin, c’est de pouvoir lire la torah pour l’éternité, dans l’éternité.

Dieu dit, et la chose est.
Dieu dit et l’homme vit.

Oui, le paradis c’est ce contact permanent et éternel avec la parole de Dieu, qui suscite et renouvelle la lumière vivante de la création.

Comme la bible dit avec quelques mots infiniment plus que nos interprétations immédiates, l’œuvre artistique avec ses symboles permet autant de relectures et de regards que de spectateurs. La parole de Dieu atteint autant de cœurs que la complexité du monde et des hommes en suscite parmi la création.

A la question " Qui dis-tu que je suis ? " l’artiste répond pour lui, et en même temps provoque les réponses personnelles du commanditaire, des autres, du monde et cela dans le temps qu’aucun de nous peut borner.