Ce monde aimé de Dieu
« Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes »
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un instant avec Mozart [01] -
Plusieurs
étonnements nous ont accompagnés, peut-être
déroutés, au long des émissions précédentes.
Ainsi c’est dans la fragilité et l’incrédulité
des disciples que chemine la puissance de la Parole de Dieu.
C’est
dans la finitude et la faiblesse de l’Eglise visible que se dit
secrètement l’espérance du Royaume.
C’est dans la
figure du serviteur et non dans la puissance que Jésus se
révèle comme le messie.
C’est à l’ombre de
la croix que Jésus accomplit les miracles qui ouvrent à
une vie nouvelle.
C’est dans l’extrême solitude devant Dieu
que s’enracine pour le croyant la passion du vivre ensemble.
Et
aujourd’hui c’est un nouvel étonnement qui peut nous saisir
devant l’apparente contradiction contenue dans le titre. Il juxtapose
en effet l’amour de Dieu pour le monde et la mise à mort de
Jésus par le monde.
Ainsi c’est sur la croix, lieu de
souffrance, de solitude et d’abandon que s’est manifestée pour
toujours la promesse d’un univers réconcilié. C’est
dans la passion de Jésus que se dit la passion de Dieu pour la
terre.
Et cet étonnement pourrait devenir, comme pour les
disciples, incrédulité quand on voit à quel
point cet amour de Dieu proclamé, semble démenti et
contredit par la réalité.
Et cela de plusieurs
manières que nous avons déjà relevées
chemin faisant. Je voudrais en souligner deux.
l.
Et d’abord, de manière quotidienne et concrète, nous
percevons bien que notre temps est plus porté à la
morosité, au désenchantement, au désespoir même,
qu’à l’espérance. Chaque conversation, chaque
information, chaque sondage en porte les échos.
Nous
vivons dans une époque mouvante où tout bouge, où
il n’y a plus de modèles préétablis ni de
repères à peu près clairs pour vivre. Pour
certains l’approche de l’an 2000 réveille déjà
de vieilles peurs, enfouies dans les tréfonds des consciences
et exhumées, réactivées par les difficultés
concrètes, par les menaces et les incertitudes, par la crise
de confiance et le sentiment d’insécurité qui en
découlent.
La société aujourd’hui paraît
sans élan, plus riche d’inquiétudes que de projets,
plus marquée d’égoïsme que de solidarités,
plus tentée par le repli que par les grands espaces.
L’effondrement des idéologies et le souci d’efficacité
ont induit une attitude faite d’acceptation voire de résignation,
qui nous incite à composer avec la réalité telle
qu’elle est, à la gérer plus qu’à la
transformer. Le réalisme devient l’autre nom de la fatalité
et, pour certains, du désespoir.
Tout se passe comme si
notre monde ne s’était jamais remis de la défaite des
grandes utopies qui ont mobilisé et déchiré ce
siècle, comme s’il était soudain sans avenir, en panne
d’espérance. Ou comme si l’espérance n’était
plus, pour reprendre les mots de Vaclav Havel, que le « produit
de notre impuissance, (...) une illusion. Un bout de chiffon servant
à rapiécer une âme déchirée, mais
lui- même percé de trous. L’espérance d’individus
sans espoir » Réf [01].
Les gens autour de nous semblent, en effet, ne plus rien espérer,
ne plus rien attendre, ou n’osent pas dire ce qu’ils attendent, ou
n’osent même plus attendre.
Et c’est une misère et
une souffrance que de ne plus rien attendre. Soit parce que l’on
croit tout avoir, que l’on est saturé d’occupations, de
relations ou de richesses.
Soit parce que l’on désespère
de tout, et que l’on s’enferme dans le silence, dans l’amertume, dans
la peur, parfois dans la violence.
Alors comment parler de
l’amour de Dieu devant le vide de certaines vies, devant l’angoisse
qui habite la société ?
Plus difficile, plus
douloureux encore, comment parler de l’amour de Dieu quand le mal et
le malheur frappent lourdement ?
Comment parler de l’amour de
Dieu devant les épreuves qui nous atteignent dans nos vies
personnelles, devant les drames qui ont lieu à l’échelle
de l’histoire ?
Comment parler de l’amour de Dieu quand la
funèbre litanie des massacres d’aujourd’hui prolonge
inexorablement l’extermination d’hier ?
Elie Wiesel écrit
dans ses Mémoires : « Lorsque je songe aux convulsions
qui ont traversé notre siècle, rien ne me suint. (...)
Comment Dieu a- t- il fait pour supporter Sa souffrance ajoutée
à la nôtre ?... (...) Le royaume des barbelés
demeurera à jamais un immense point d’interrogation à
l’échelle des hommes et de leur créateur... Il aurait
pu, Il aurait dû interrompre Sa propre souffrance en mettant un
terme au martyre des innocents. Pourquoi ne l’a-t-Il pas fait ? Je
l’ignore et je pense que je ne le saurai jamais » Réf
[02].
Et sans doute nous n’en n’aurons jamais fƒfini
avec cette question de l’énigme du mal qui nous brise et nous
tourmente. Nous ne pouvons ni la résoudre, ni nous en défaire.
Et à cause d’elle, nous le savons bien, beaucoup se sont
éloignés de la foi.
2. D’autant que ceux
qui devraient être les témoins de l’amour de Dieu, les
chrétiens et les Eglises, n’ont pas toujours été
au cours de l’histoire à la hauteur d’une telle tâche.
Vingt siècles de chrétienté, jalonnés
de schismes, de disputes, de guerres, nous rappellent que leur
témoignage a débouché trop souvent sur des
conflits inguérissables. Par des violences déclarées
ou feutrées, les Eglises ont introduit trop de séparations
dans le tissu fragile de la société entre hommes et
femmes, entre croyants et incroyants, entre damnés et sauvés,
entre catholiques et protestants.
Et ce qui se passe aujourd’hui
nous confirme hélas « que la foi religieuse »
peut être parfois « la plus invétérée
des raisons de hait » et que « les religions, ces
berceaux des peuples, en creusent éventuellement les tombeaux.
» Réf [03].
Cela contribue à alimenter le sentiment qui se répand
de plus en plus, que toutes les religions seraient facteurs
d’intolérance. Est-ce parce qu’elles ont à faire aux
émotions les plus fortes, parfois les plus archaïques :
la peur et l’espoir, l’amour et la haine, le pur et l’impur ?
Comme
dans ce passage de Marc où elles vont susciter un conflit dont
l’issue est la croix.
Et même entre elles, les grandes
communautés chrétiennes, ont bien du mal à
témoigner de l’amour de Dieu, à exercer le pardon
mutuel après une longue histoire de persécution,
d’inquisition, de répression. Et on peut légitimement
se demander comment les Eglises européennes réunies en
juin prochain sur le thème de « la réconciliation
», vont pouvoir en parler, alors même qu’elles ne sont
pas encore réconciliées entre elles ?
Et puis
comment revendiquer pour les autres le respect des droits de l’homme,
le respect de la liberté, de la dignité et des
convictions de chacun, sans le vivre dans l’Eglise ?
Comment
enfin témoigner de l’amour de Dieu pour le monde, alors que
trop longtemps les Eglises se sont soustraites, au nom de leur
doctrine, à l’intelligence du monde, à l’effort de le
comprendre, de s’y adapter, de lui insuffler des raisons de vivre et
d’espérer ? Et encore aujourd’hui, elles jettent trop souvent
sur lui, sur le travail de l’humanité, sur la tâche
culturelle et scientifique, sur la modernité, un regard
négatif, parfois d’accusation et de condamnation.
Mais
faut-il s’étonner vraiment de cette contradiction entre
l’affirmation de l’amour de Dieu et les démentis qu’elle
rencontre ?
N’est-elle pas déjà présente au
coeur des textes de Marc qui nous ont accompagnés au long de
ces semaines ?
Nous avons vu Jésus accueillir, écouter,
avoir compassion de ceux qui souffrent. Il a nourri les foules, guéri
l’aveugle, libéré l’enfant possédé. Il a
incarné l’amour de Dieu, et pourtant déjà la
croix se dresse : « Le Fils de l’homme va être livré
aux mains des hommes » ( 9/31).
D’emblée les
paroles et les actes de Jésus sont placés sous
l’horizon de la passion et le projet d’amour de Dieu pour ce monde
semble mis en échec. Mis en échec par les maladies, les
peurs, les souffrances, les solitudes que l’on porte vers Jésus.
Mis en échec par l’opposition des chefs religieux qui ne
supportent pas la contestation que ce projet d’amour introduit dans
leurs systèmes. Mis en échec par les incompréhensions
des disciples, leurs fragilités, leur goût du pouvoir,
leur volonté de puissance, leurs malentendus sur le sens de la
mission de Jésus.
Alors le Christ, qui libère les
hommes et les femmes de leurs solitudes, de leurs détresses,
qui les réconcilie avec Dieu et entre eux, va payer de sa vie
la délivrance qu’il leur apporte.
Au centre de l’évangile,
au centre de la foi chrétienne, au centre de l’amour de Dieu,
on trouve un homme seul, abandonné, crucifié, et
l’inexplicable nouvelle que Dieu habitait cette souffrance.
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un instant avec Mozart [02] -
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La relation de Dieu
avec le monde prend donc le visage de la passion, dans les deux sens
de ce mot de souffrance et d’amour. Deux faces de la passion qui nous
permettent de comprendre de quel amour et de quel Dieu nous sommes
aimés.
1. Et d’abord, première face,
nous devons nous interroger sur le caractère inévitable,
inéluctable, que semble prendre la souffrance du Christ dans
l’évangile de Marc. Tout son récit est orienté
vers la croix et ici Jésus va l’annoncer par trois fois à
ses disciples.
Et le verbe qu’il emploie lors de la première
annonce est extrêmement fort : « Il faut que le Fils de
l’Homme souffre beaucoup » (8/31). « Il faut ».
C’est le terme grec de la nécessité qui indique qu’il
ne peut pas en être autrement.
« Il faut que le
Fils de l’Homme souffre beaucoup » puisque Dieu s’est fait
homme en toute réalité. Il a manifesté son amour
pour nous et pour le monde en s’incarnant dans notre histoire. En
Christ Il venu habiter toute notre humanité, Il l’a prise en
charge pleinement dans toutes ses dimensions. Il n’a pas fait
semblant et donc il souffre comme les hommes souffrent, partageant
jusqu’à la mort nos finitudes et nos solitudes.
« Il
faut que le Fils de l’Homme souffre beaucoup » parce que
Jésus n’a pas seulement partagé nos souffrances il est
venu les soulager. Et pour cela il a combattu les causes de ces
souffrances, il s’est affronté aux forces du mal, aux pouvoirs
injustes, à la bêtise et à la méchanceté
humaines, s’attirant en retour le rejet et la haine.
« Il
faut que le Fils de l’Homme souffre beaucoup » parce que
c’est toujours ainsi que ça se passe quand on conteste les
puissances du malheur. Et de surcroît quand on ne leur oppose
que la force d’un amour désarmé. Le Christ meurt
d’avoir aimé ce monde jusqu’au bout.
Ainsi dans l’évangile
de Marc, la souffrance à laquelle Jésus doit consentir
est inévitable car elle est liée à sa mission
même. Elle n’est pas commandée par l’exigence d’une
justice divine vengeresse qui ne pourrait laisser impunie la faute de
l’humanité et qui pour cela réclamerait la mort du
fƒfils. Elle n’est pas recherchée comme méritoire.
Elle est acceptée comme la conséquence évidente
d’un amour qui va jusqu’à donner sa vie pour que les autres
vivent.
Les souffrances et la croix du Christ nous dévoilent
donc un autre visage de Dieu que celui fondé sur la grandeur
et la puissance, elles opèrent un renversement complet de
toutes nos représentations religieuses pour nous livrer à
un amour offert, un amour inconditionnel.
C’est dire que la croix
marque aussi la fƒm d’une relation à Dieu portée
par le souci de se valoriser devant lui, de devenir acceptables à
ses yeux par nos propres forces.
Et ce désir
tyrannique de se réaliser soi-même par ses oeuvres est
directement en rapport avec ce que la Bible nomme le péché.
Le mot péché est un terme que l’on n’utilise plus guère
aujourd’hui ou que l’on confond trop souvent avec les fautes morales,
qui en sont les effets et les symptômes.
Le péché
pour la Bible c’est fondamentalement quand la relation avec Dieu est
faussée ou absente, c’est quand nous refusons notre statut
humain, quand nous ne sommes plus devant Dieu, en relation avec lui,
mais à sa place.
Et du coup ce mauvais placement devant
Dieu entraîne de mauvais rapports avec soi-même, des
relations difficiles avec les autres, des relations perturbées
avec la nature. Le péché c’est quand l’homme sans Dieu
se croit devenu tout puissant, lorsqu’il réinvente les dieux
et les idoles, lorsqu’il croit pouvoir trouver en lui le dernier mot
et l’ultime réponse, lorsqu’il se fait maître du monde à
partir de lui seul, dès lors totalitaire. On pense à ce
que Dostoïevski fait dire à l’un de ses personnages : « Si
Dieu n’existe pas, je suis Dieu... S’il n’existe pas que ma volonté
soit faite... ».
La manifestation du péché
c’est l’ambition folle exprimée dans le récit biblique
de la Tour de Babel. C’est ici la volonté des disciples à
être le plus grand, à avoir barre sur les autres, à
confisquer le Christ. C’est l’attitude des chefs religieux qui savent
mieux que Dieu lui-même quelle est sa volonté pour ce
monde.
Dans notre modernité occidentale, c’est prendre la
place de Dieu en cherchant à obtenir la toute-puissance par le
savoir, la technique, la réflexion. Ce sont tous les projets
humains démesurés, ou plutôt les projets
inhumains réalisés sans égard pour la souffrance
des hommes et la destruction de son environnement.
C’est lorsque
s’installe une langue unique, une idéologie unique, qui ne
tolère aucune originalité individuelle, aucune
différence, aucune altérité, aucune déviance.
Un univers de clones se reproduisant à l’identique.
Idéologie
de la réussite, du succès, de la croissance où
la valeur d’un homme, d’une femme, ne se mesure qu’à ce qu’il
fait et produit. Idéologie de la performance, des résultats,
des records qui valorise de façon illusoire ceux qui en
profitent et qui désespèrent tellement ceux qui en sont
exclus, ceux qui ont le sentiment de ne plus compter pour personne :
chômeurs, malades, handicapés, personnes âgées,
oubliés du système scolaire.
Or devant le Dieu
d’amour, chacun quel qu’il soit, est unique et précieux. On le
voit bien dans ces textes où la rencontre avec Jésus se
produit précisément quand une personne émerge de
l’anonymat de la foule, quand un être singulier avec son
histoire, sa souffrance, son projet, se tourne vers lui.
On
comprend mieux alors pourquoi un tel amour gratuit, faible et désarmé
s’oppose aux logiques de ce monde, pourquoi il heurte les volontés
de puissance et de domination. Et pourquoi il conduit inévitablement
à la croix.
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un instant avec Mozart [03] -
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2. Et pourtant,
malgré ses drames et ses blessures, dont la croix reste à
jamais la marque dans l’histoire, ce monde, notre monde, demeure au
coeur du projet d’amour de Dieu. Telle est à travers
les actes et les paroles de Jésus la révélation
centrale et décisive, ce en quoi l’Evangile est réellement
une « bonne nouvelle ». Malgré les apparences Dieu
n’a ni oublié, ni condamné le monde mais il l’aime dans
toutes ses dimensions.
Cet amour éclate dès les
premières pages de la Bible, dans les récits de la
création. Le monde n’y est plus un univers peuplé de
dieux redoutables, de forces à vénérer et à
se rendre propices, mais c’est une réalité à
comprendre, à expliquer, à nommer, à
transformer.
Il est confié à l’homme et à la
femme pour qu’ils veillent sur lui, pour que toujours ils
maintiennent sa destination première, le service de Dieu et
des hommes. Comme le disait Calvin « Nous sommes mis en ce
théâtre pour y contempler la gloire de Dieu, non
seulement comme témoins, mais aussi afin que nous jouissions
de toutes les richesses qui y sont déployées »
Réf [04].
Il y a
là très clairement une positivité du monde que
Dieu aime et confie à l’homme. Aucun élément de
ce monde n’est donc étranger au croyant. Et la foi n’oblige à
abdiquer ni sa sensibilité, ni son intelligence, ni sa raison.
Cela doit se traduire aujourd’hui par un dialogue ouvert et exigeant
de la foi avec la culture, la technique, la science, les savoirs
contemporains et toutes les formes de la modernité.
Il est
un tableau de Van Gogh qui exprime cela admirablement. On y voit une
Bible ouverte, un chandelier qui en traduit la clarté
rayonnante et un livre fermé, posé à côté
de la Bible. C’est un ouvrage d’Emile Zola : « La joie de
vivre ». Comment mieux dire que la Parole de Dieu lutte
contre toutes les formes d’obscurité et d’obscurantisme. Elle
n’est pas un instamment de peur devant le monde qui nous amènerait
à le refuser, à le condamner ou à le fuir. Mais
elle s’inscrit au centre de notre vie pour que nous prenions part à
l’aventure humaine avec joie et avec bonheur.
C’est bien ce que
manifeste la pratique de Jésus et c’est bien pourquoi elle
rencontre l’opposition des pharisiens et des scribes. Car même
les rites religieux doivent désormais s’effacer lorsqu’ils
font obstacle à une libération, à une guérison
ou qu’ils enferment un être humain dans sa détresse.
Jamais la foi au Dieu d’amour ne peut briser l’espoir ou s’accommoder
du malheur. Et jamais, au aujourd’hui comme hier, on ne saurait
laisser mourir des hommes et des femmes pour sauver la pureté
de la doctrine.
L’Evangile n’est pas un fardeau, un carcan de
dogmes et de morales mais une confiance qui vient de Dieu. Une
confiance pour vivre, pour aimer la vie et le monde reçus de
Dieu, et pour servir la vie des autres.
Et les miracles de Jésus
notamment manifestent ce Dieu d’amour présent à la
destinée des hommes et des femmes. Un Dieu qui prend corps
lui-même pour entrer dans un corps-à-corps victorieux
avec la souffrance de corps meurtris, afin de les restaurer dans leur
condition de créature voulue par Dieu. Lorsque Jésus
guérit le corps, c’est toute la vie d’une personne dans tous
ses aspects qu’il transforme : sa relation à elle-même,
sa relation aux autres, son rapport au monde et à Dieu.
Les
miracles sont signe et promesse d’un vivre ensemble réconcilié
aux dimensions de l’univers, ils recommencent le geste de la
création, ils annoncent que le monde nouveau est déjà
là et que l’espérance dernière bouleverse dès
maintenant les conditions de la vie.
Et celles et ceux qui ont
été remis debout par Christ, nous disent mieux que de
longs discours théologiques ce qu’a été son
action décisive au creux de leurs vies : pardon offert, pardon
reçu, guérison de la maladie, délivrance de
l’alcool ou de la drogue, amour retrouvé, sens pour sa vie,
confiance restaurée...
Chaque jour nous apprend ce dont
Christ nous a libérés.
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un instant avec Mozart [04] -
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Ainsi la croix exprime
à la fois le « oui » de Dieu sur ce monde,
le oui de Dieu au salut, à la paix, à la justice, au
bonheur de cette terre, un oui qui ouvre aux conversions et aux
engagements.
Mais la croix est aussi le « non »
que Dieu prononce sur ce monde, non au péché, à
l’injustice, à la violence, à la haine, un non qui
appelle à combattre toutes les puissances du mal qui
l’habitent et le déchirent.
C’est dire que ces deux faces
de la passion, amour et souffrance, vont éclairer jour après
jour l’existence des disciples du Christ : « Si quelqu’un
veut venir à ma suite, dit Jésus dans ce passage, qu’il
renonce à lui- même et prenne sa croix et qu’il me
suive. En effet qui veut sauver sa vie la perdra ; mais qui perdra sa
vie à cause de moi et de l’Evangile, la sauvera »
(8/34).
Ainsi se tenir devant Dieu c’est suivre le Christ.
C’est vivre jusqu’au bout son amour, sa passion pour le monde. C’est
être prêt à l’accompagner jusqu’au lieu où
il va être élevé, non sur un piédestal,
mais sur une croix, rejeté, méprisé, abandonné
des siens, seul.
C’est découvrir aussi dans cette solitude
et cet abandon le signe d’une vie nouvelle plus forte que la mort, la
promesse d’un vivre ensemble réconcilié devant Dieu, la
marque d’un amour par lequel nous sommes littéralement «
mis au monde ».
- Suivre le Christ, c’est
redescendre de la montagne pour aller vers la plaine où des
hommes et des femmes souffrent, où pleurent des enfants. C’est
se tenir aux côtés de ceux qui luttent contre le mal et
les forces de mort, ceux qui écoutent, qui accueillent, qui
nourrissent, qui guérissent.
C’est donc être
inévitablement confronté en retour à ces
pouvoirs que nous défions par nos gestes et nos paroles,
exposé à ces puissances qui enténèbrent
le monde et obscurcissent le coeur de l’homme.
- Suivre le
Christ c’est garder vive la mémoire des témoins qui
nous ont précédés sur ce chemin et dont certains
comme Jésus ont été « livrés aux
mains des hommes », livrés parfois sans que personne ne
sache ni leur nom, ni leurs souffrances. Par leur vie et par leur
mort ils nous ont rendus à l’espérance et « livré
» l’Evangile qui chaque jour nous donne la force et la joie des
commencements.
- Suivre le Christ c’est en son nom prier le
Père pour confier à son amour ceux que la vie a brisés.
C’est appeler Dieu et insister lorsqu’il ne répond pas,
lorsqu’il garde le silence. C’est se tenir devant Lui et réclamer
pour les autres la justice et le pain, c’est appeler à la
place de ceux qui n’ont plus les mots pour le faire. C’est crier pour
le proche et le lointain emmuré dans le silence ou la
résignation. C’est veiller, c’est espérer, c’est
annoncer l’aurore à ceux qui sont enfermés dans la
nuit.
- Suivre le Christ c’est offrir sa Parole comme une
présence et une confiance à ceux qui aujourd’hui vivent
dans la peur, ceux qui doutent, qui cherchent, qui désespèrent
dans une société sans repères. Suivre le Christ
c’est être porté par l’assurance que Dieu aime ce monde
et qu’il veille sur lui, et que cet amour encore secret se révélera
au grand jour.
Telle est l’espérance imprenable qui
nous donne le courage de vivre seul et avec les autres, devant Dieu
et au coeur de l’histoire.
Et cette espérance retentit
dans nos nuits douloureuses comme un défi lancé à
la face du malheur.
Et cette espérance résonne
chaque matin comme une musique, qui donne déjà à
notre terre le visage du bonheur.
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un instant avec Mozart [05] -
-Références
des citations :
Réf
[01] Vaclav HAVEL, Discours prononcé lors de sa
réception à l’Académie des sciences morales et
politiques
Réf [02] Elie
WIESEL, Tous les fleuves vont à la mer. Mémoires. Le
Seuil, Paris, 1994, p.133
Réf [03]
France QUERE, Si je n’ai pas la charité, Propos sur l’amour.
Desclée de Brouwer, Paris, 1994, p. 13
Réf
[04] Jean CALVIN, Commentaire de la Genèse. Labor et
Fides, 1961, p.20
-
Les instants avec Mozart :
[01]
Andante sostenuto de la Sonate en ut majeur pour piano et violon, K.
296. Piano Radu Lupu, Violon Szymon Goldberg.
[02]
Rondeau : Andante grazioso de la Sonate en mi bémol majeur
pour piano et violon, K. 302. Piano Radu Lupu, Violon Szymon
Goldberg.
[03] Andantino sostenuto e
cantabile de la Sonate n° 26 en si bémol majeur pour piano
et violon, K. 378. Piano Clara Haskil, Violon
Arthur Grumiaux.
[04] Adagio -
Molto allegro de la Sonate en ut majeur pour piano et violon, K. 303.
Piano Radu Lupu, Violon Szymon Goldberg.
[05]
Allegro moderato de la Sonate n° 26 en si bémol majeur
pour piano et violon, K. 378. Piano Clara Haskil,
Violon Arthur Grumiaux.