Jean le Disciple
Un soldat, un brigand, un disciple, un officier, une étrangère, un religieux et une autre femme se retrouvent à la Croix. Qu’entendent-ils ? Que disent-ils ?
Si
on veut mener une vie confortable et régulière, il ne
faut surtout pas être disciple de Jésus ! Depuis
que j’ai commencé à le suivre, il m’a
toujours surpris. Et maintenant qu’il est mort, c’est
encore un nouveau chemin qui s’ouvre devant mes pas.
J’ai
eu une relation privilégiée avec lui. Quand il parlait
de la mission et de ses projets, il s’adressait surtout à
Pierre ; mais quand il voulait partager un fardeau ou lorsqu’il
disait son souci pour une personne, c’est avec moi qu’il
parlait le plus volontiers.
Hier,
nous avons partagé son dernier repas. Quand tous les disciples
étaient autour de la table, il s’est levé, il a
pris un linge et une cuvette, il s’est agenouillé, et il
nous a lavé les pieds. Au début on ne voulait pas se
laisser faire, mais il a dit qu’on comprendrait plus tard son
geste, et que nous devions, nous aussi, devenir serviteurs de nos
frères. Et puis il a commencé à parler de son
départ et d’un esprit de consolation qui viendrait sur
nous. J’ai compris que le dénouement était
proche, mais jusqu’au dernier moment j’ai espéré
une autre fin.
Après
le repas, nous l’avons accompagné au jardin des
Oliviers. Il s’est agenouillé, et sa prière est
devenue combat. Moi aussi j’ai prié parce que je voulais
le soutenir, mais une fois que j’avais demandé à
Dieu de ne pas l’abandonner, je ne savais plus très bien
que dire... J’ai voulu persévérer, mais la
fatigue a été la plus forte et je me suis endormi. J’ai
été réveillé par le bruit d’une
troupe qui approchait. C’étaient les gardes du
Sanhédrin, le tribunal religieux. Ils avaient des torches et
des armes, et ils étaient conduits par... Judas, l’un
des nôtres. Nous étions prêts à défendre
Jésus, mais il nous en a empêchés. Il s’est
offert, et ils l’ont emmené pour être jugé.
Quand
le Sanhédrin l’a envoyé à Pilate, j’ai
compris qu’il n’y avait plus d’espoir. Le seul
souci du procurateur romain est d’avoir la paix, et je sais
qu’il n’aura pas le courage de s’opposer aux
religieux.
Comme
Marie, la mère de Jésus, était en ce moment en
ville, j’ai tout de suite pensé à elle et j’ai
couru pour la rejoindre. Contrairement à mes craintes elle
n’était pas seule, d’autres femmes étaient
là. Marie venait d’être informée de la
parodie de justice chez Pilate et de la condamnation de son fils.
Jésus était déjà sur le chemin qui
conduit au mont du Crâne.
Elle
a gardé le silence un moment, comme pour prendre des forces,
puis elle s’est levée, et a dit qu’elle aussi
allait gravir la colline. J’ai essayé de l’en
dissuader en lui disant que le spectacle serait difficile à
supporter, mais elle n’a rien voulu savoir. Elle voulait voir
son fils une dernière fois.
En
route, elle m’a parlé. Elle m’a raconté la
présentation de Jésus au Temple, quand il était
un simple nourrisson. Il y avait en ce temps-là un vieux sage
que tout le monde connaissait, qui a prononcé d’étranges
paroles sur Jésus. Puis il l’a regardée elle, et
a dit : Quant à toi Marie... une épée te
transpercera le cœur. A l’époque, elle n’avait
pas compris ce qu’il voulait dire, mais maintenant... elle
comprenait trop bien.
Quand
on est arrivé au mont du Crâne, les trois croix étaient
déjà dressées. En nous voyant venir, la foule
s’est tue. Elle s’est ouverte pour nous laisser passer,
et on s’est retrouvé aux pieds de Jésus. On est
resté un moment en silence... les mots n’étaient
plus nécessaires pour se parler. Jésus a regardé
Marie et a dit : Femme, voici ton fils. Puis il a tourné
son regard vers moi et a dit : Voici ta mère. J’ai
posé la main sur l’épaule de Marie, et j’ai
hoché la tête.
Malgré
le mal, l’obscurité, la violence et l’injustice,
j’ai eu à ce moment-là la certitude que c’est
lui qui avait raison... et que son combat était le bon.
Aujourd’hui
la mort semble triompher, mais il m’a appris quelque chose,
c’est qu’aussi fort que la mort...
il y a l’amour.
Et l’amour nous appelle à continuer notre chemin, même
au milieu des ténèbres et de l’oppression.
Cet
amour qu’il m’a appris, aucune croix ne pourra l’enlever
de mon cœur.
La
persévérance de l’amour
La
vie m’a appris à me méfier des grandes passions.
Je
sais que les hommes qui sont fous de Dieu peuvent être conduits
à des actes radicaux, parfois violents, qui sont en tout point
contraires à la foi qu’ils professent.
Je
sais que les grandes passions amoureuses se terminent généralement
mal car le propre de la passion est d’être radicale et
éphémère. Nous connaissons des familles, des
enfants, des conjoints qui ont été détruits par
ce type de passion.
Mais
il est une passion dont on ne parle jamais et que je voudrais
défendre aujourd’hui, c’est la passion des choses
humbles.
• Je
pense à cet homme qui depuis plus de dix ans s’occupe de
sa femme infirme qu’il ne veut pas mettre dans un établissement
spécialisé afin de la maintenir dans un cadre familier.
• Je
pense à ce ministre de l’Église qui reste dans
une petite paroisse de campagne qu’il ne veut pas quitter par
amour pour ses paroissiens, car il sait que le jour où il s’en
ira il ne sera pas remplacé.
• Je pense à
cette femme qui se bat pour maintenir l’unité de son
foyer malgré les aventures conjugales de son mari.
Cette passion des
choses humbles, on n’en parle pas beaucoup dans les journaux,
et pourtant ce sont elles qui font que notre monde tient debout.
– On entend parler
dans les journaux de politique de la ville et de plans pour
l’intégration. Mais si l’intégration se
fait, c’est grâce à ces familles qui ont choisi de
vivre, et de rester, dans des quartiers jugés difficiles. Les
vrais artisans de l’intégration sont ces hommes et ces
femmes qui consacrent une partie de leurs loisirs à animer des
clubs de sport dans leur quartier.
– On parle des
grandes déclarations des évêques et des
présidents d’Eglise. Mais si l’Evangile continue à
être vécu, c’est grâce aux prêtres et
aux pasteurs de base, aux hommes et aux femmes qui, dans l’anonymat,
s’épuisent parfois à maintenir allumé le
lumignon qui fume à peine.
– Dans le
protestantisme, on se souvient avec fierté de la geste
héroïque des Camisards qui se sont battus pour la liberté
de la foi. Mais s’il y avait encore un protestantisme en France
dans la deuxième moitié du 18ème siècle,
c’est grâce aux mères de famille qui le soir, à
la veillée, ouvraient la Bible pour apprendre aux enfants ce
qu’on ne leur avait pas dit au catéchisme.
La tradition
rabbinique raconte que le peuple d’Israël a été
libéré de l’Egypte et conduit par Moïse
grâce aux mérites d’Abraham.
Les sages se sont
demandés quel acte d’Abraham a pu être
suffisamment puissant pour susciter la libération de
l’esclavage ?
• Est-ce parce qu’il
a quitté le pays des idoles pour obéir à une
parole de Dieu ? Non.
• Est-ce parce qu’il
a intercédé pour Sodome, la ville dévoyée ?
Non plus.
• Alors peut-être
parce qu’il était prêt à sacrifier son fils
unique, Isaac ? Pas plus.
L’acte le
plus méritant d’Abraham, c’est quand il a invité
sous sa tente trois hommes de passage aux chênes de Mamré.
On peut se demander en quoi cet acte, qui est un simple geste
d’hospitalité commun dans le monde des nomades, est
aussi méritant ? La réponse est que c’est
justement dans l’ordinaire que se joue la vérité
et la profondeur de la foi d’Abraham.
Quand Abraham est
mort, la Bible dit qu’il expire âgé et rassasié
de jours. Une interprétation de ce passage dit qu’on
peut comprendre : Abraham expire âgé, avec tous
ses jours22 .
Quand il s’est
présenté devant Dieu, Abraham a ouvert les mains :
tous ses jours étaient avec lui. Il n’en manquait pas
un.
Abraham est mort
à 175 ans et, dans la Bible, Dieu ne lui a parlé que
sept fois. Sept fois en cent soixante-quinze ans, cela fait à
peine une fois tous les vingt-cinq ans. Et pourtant, c’est avec
tous ses jours qu’il s’est présenté devant
Dieu. Les sept jours pendant lesquels Dieu lui a parlé, et les
soixante mille pendant lesquels Dieu s’est tu, mais pendant
lesquels Abraham a vécu la fidélité au
quotidien.
Un grand maître
du judaïsme, le Rav Kook a expliqué que parallèlement
au verset du Psaume qui dit à Dieu : Combien tes
œuvres sont grandes ! on devrait dire : Combien
tes œuvres sont infimes ! Car de même que la
grandeur divine apparaît dans les galaxies et dans les espaces
interstellaires infinis, elle se révèle aussi dans
l’infiniment petit de la cellule et de l’atome. Et de
même que l’on perçoit la grandeur divine dans les
grandes pensées philosophiques et dans les superbes
embrasements d’amour et de foi, chacun peut aussi la rencontrer
dans les plus petits détails de la vie quotidienne23 .
S S S
Quand on pense
aux premiers apôtres et aux grands missionnaires, on pense à
des hommes qui ont tout quitté pour la passion de l’évangile
et qui affrontent tous les dangers pour le service de leur foi.
Le Nouveau
Testament nous propose un exemple de ce type, c’est l’apôtre
Paul. Dans la deuxième épître aux Corinthiens, il
parle de son ministère : Souvent en danger de mort,
cinq fois j’ai reçu quarante coups moins un, trois fois
j’ai été battu de verges, une fois j’ai été
lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé
un jour et une nuit dans l’abîme. Souvent en voyage,
exposé aux dangers des fleuves, aux dangers des brigands, aux
dangers de la part de mes compatriotes, aux dangers de la part des
païens, aux dangers de la ville, aux dangers du désert,
aux dangers de la mer, aux dangers parmi les faux frères, au
travail à la peine ; souvent dans les veilles, dans la
faim et dans la soif ; souvent dans le jeûne, dans le
froid et le dénuement24 .
Ce portrait
correspond bien à l’image que nous nous faisons des
missionnaires.
Mais dans la
Bible, nous trouvons un autre modèle, plus modeste, plus
quotidien, mais qui met en valeur le premier commandement chrétien :
l’amour.
Dans la première
épître aux Corinthiens, tout le monde connaît le
chapitre 13 qui est le fameux hymne à l’amour. On y
parle aussi de la foi comme d’une passion. Ce sont les versets
qui parlent de dons de prophétie et de connaissance, de
confiance absolue en Dieu et de martyrs… mais l’apôtre
précise : en tout cela, si je n’ai pas l’amour
je ne suis rien25 .
Paul symbolise le
missionnaire qui va porter l’évangile dans toutes les
nations, mais à ses côtés émerge un autre
personnage, Jean, qui a reçu pour mission d’accueillir
chez lui Marie afin de prendre soin de la mère de Jésus.
Dans le Nouveau
Testament, les écrits attribués à Jean portent
la marque de cet amour humble mais tenace.
C’est cet
évangile qui nous apprend que c’est par amour que Dieu a
envoyé son fils dans le monde et que nous sommes appelés
à nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés26 .
Cet amour
fervent, discret, quotidien est raconté de façon
particulièrement éloquente au cours du dernier repas de
Jésus. Là où les autres évangiles font de
la haute théologie en parlant d’alliance nouvelle
symbolisée par le pain et le vin, l’évangile de
Jean nous présente un autre signe.
Jésus se
lève, prend une cuvette et un linge, s’agenouille devant
ses disciples et leur lave les pieds27 . Ce
geste est parfaitement ordinaire, à cette époque, les
serviteurs lavaient les pieds des invités. Aujourd’hui
encore dans toutes les cliniques, hôpitaux, hospices ainsi que
dans les maisons où se trouvent de grands malades, des hommes
et des femmes lavent leur prochain.
Ceux-là
sont signes de l’amour du Christ
Quand nous sommes
perdus, quand nous ne savons plus très bien qui est Dieu, ni
où le retrouver... nous pouvons relire ce passage et entendre
que le Christ est Seigneur et roi, mais qu’aujourd’hui il
est le Seigneur qui s’est agenouillé à mes pieds,
une cuvette à la main et un linge autour des reins, pour me
laver.
Si la foi et
l’amour sont les deux piliers de l’Église, nous
avons parfois l’impression que notre compréhension est
déséquilibrée.
• Nous disons d’une
personne religieuse qu’elle est croyante, mais pourquoi ne
disons-nous pas que c’est une amante ?
• Nous évoquons
la foi qui transporte les montagnes, mais pourquoi ne parlons-nous
pas de la foi qui nous fait accueillir chez nous la mère d’un
prochain décédé ?
• Nous rêvons
d’une Église qui porte le feu de Dieu, mais pourquoi ne
rêvons-nous pas d’une Église qui cultiverait la
simplicité et la délicatesse ?
La seule
définition de Dieu que donne le Nouveau Testament est :
Dieu est amour28 . Et le
conseil précis qui est proposé en terme de témoignage
est : C’est à l’amour que vous aurez les
uns pour les autres que tous reconnaîtront que vous êtes
mes disciples29 .
S S S
Maintenant que
nous avons entendu la place de l’amour dans l’évangile,
il nous reste à comprendre ce qu’il veut dire.
La première
surprise quand la Bible évoque l’amour, c’est
qu’elle en parle en terme de commandement : Tu aimeras
ton prochain30 , Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu31 . L’évangile
va jusqu’à ordonner : Aimez vos ennemis32 .
Aimer son
prochain, on voit à peu près ce que ça veut
dire.
Aimer Dieu, ça
devient plus compliqué, surtout depuis que les sciences
humaines nous ont appris combien l’amour pouvait être
pervers et équivoque.
Quant à
l’amour des ennemis, il semble qu’on nage en pleine
contradiction tant les deux mots semblent opposés.
Mais surtout,
comment le verbe aimer peut-il se conjuguer à
l’impératif ? N’y a-t-il pas là ce
qu’on a appelé une double contrainte. L’expression :
Je te demande d’aimer est contradictoire car l’amour
ne peut pas se commander ; et s’il se commande, ce n’est
plus de l’amour.
La seule façon
de sortir de cette contradiction est de séparer radicalement
l’amour de toute notion de sentiment.
Dans la Bible,
l’amour n’est pas une émotion, c’est une
préoccupation, une démarche, un engagement. La Bible ne
nous demande pas d’aimer tous les hommes, mais notre prochain.
Elle ne s’intéresse pas à l’amour
universel, théorique ou poétique, mais à l’amour
concret, engagé, pratique.
Quand l’Ecriture
demande d’aimer son prochain, ce n’est pas parce que le
prochain est aimable ou sympathique, c’est pour la seule et
unique raison que le prochain est aimé de Dieu.
De cette
définition de l’amour, nous pouvons extraire trois
conséquences.
• Le philosophe
Alain a dit : Il est plus facile d’aimer tous les
Chinois que son voisin de palier. Si l’amour est un
engagement concret de ma personne pour rechercher l’épanouissement
de mon prochain, mon amour est limité par mes forces et ma
disponibilité.
Je peux éprouver
de la sympathie pour tous les hommes, mais le vrai amour est un
travail, et mes capacités de travail sont limitées.
La vertu qui
accompagne l’amour est le courage car il faut du courage pour
permettre au prochain de s’épanouir. Et le contraire de
l’amour n’est pas la haine, mais la paresse ou
l’indifférence.
• La philosophe
Simone Weil a dit : La plénitude de l’amour du
prochain, c’est d’être capable de lui demander :
Quel est ton tourment ?
L’amour
induit la connaissance d’autrui et ce n’est pas un hasard
si, dans la Bible, le verbe connaître signifie à la fois
la relation conjugale et l’apprentissage de Dieu. Plus on
connaît son prochain, plus on est capable de l’aimer.
Cela signifie
que, contrairement à ce qu’on entend généralement,
le temps ne tue pas l’amour, il permet de le construire.
• Le philosophe
Leibniz a dit : L’amour, c’est de faire du
bonheur d’un autre le sien propre.
Il y a une
profonde vérité dans cette affirmation.
Dans le livre de
la Genèse, la relation entre les frères s’est
souvent déployée sous le registre de la jalousie. Caïn
et Abel, Isaac et Ismaël, Jacob et Esaü n’ont pas eu
des relations particulièrement… fraternelles.
Et puis voilà
deux frères qui vont réussir à s’entendre,
ce sont Ephraïm et Manassé, les fils de Joseph.
Quand Joseph
conduit ses garçons à Jacob, son père, pour
qu’il les bénisse, Manassé, l’aîné,
est à droite et Ephraïm, le cadet, à gauche. Jacob
croise les mains et pose la droite sur la tête d’Ephraïm
le second. Joseph réagit mais Jacob persiste et dit :
Manassé sera grand, mais Ephraïm sera plus grand que
lui33 .
Il se produit
alors un miracle unique : Manassé ne jalouse pas son
frère.
Le livre de la
Genèse peut se terminer, la jalousie n’est pas une
fatalité.
Si notre objectif
dans la vie est d’être grand, fort et riche, nous
trouverons toujours plus grand, plus fort et plus riche que nous.
Mais si notre objectif est d’aimer notre prochain et que nous
réalisons que le sommet de l’amour est de faire du
bonheur de l’autre le sien propre, alors nous aurons chaque
jour mille raisons de nous réjouir !
Nous avons
commencé cette méditation sur la persévérance
de l’amour en parlant de ceux qui ont la passion des choses
humbles. Nous la terminerons en écoutant un poème
bouleversant de Christian Bobin qui parlera mieux que nous n’avons
su le faire de cet amour qui prend toute son ampleur dans le plus
quotidien et le plus banal des gestes34 .
Je me souviens
d’un carnet
écrit par
une juive
quelques jours
avant sa mort
Elle est dans un
camp de transit
Hier la vie le
travail l’amour
Aujourd’hui
la soif la faim la peur
Demain rien
Le train qui
l’emmènera vers demain
est sur les rails
vérifié
par des mécaniciens scrupuleux
Le train qui
filera dans un demain sans épaisseur
dans un jour sans
jour
Cette femme
regarde autour d’elle
et vers le
dernier matin
décrit
émerveillée
le linge des
enfants
lavé dans
la nuit par les mères
et mis à
sécher sur les barbelés
Elle dit combien
cette vue
la réconforte
lui donne un cœur
contre lequel
viennent battre
en vain
les aboiements
des chiens les cris des soldats
le souffle lourd
des trains plombés
Si ce texte est
lumineux
ce n’est
pas seulement en raison du voisinage
de la mort et de
l’encre
de l’espérance
et de l’abîme
C’est aussi
c’est surtout
par la pensée
qu’il nous donne
et je ne connais
pas Nella
de pensée
plus noble plus simple
plus noblement
simple
Je l’écrirais
ainsi
La pureté
n’est faite que de détails
La bonté
n’est faite que de gestes
Ces gestes ne
mènent pas à de grandes victoires
aucune légende
ne les retient
Ces gestes sont
gestes de tous les jours
bien plus
héroïques
que tout héroïsme
Laver le linge
pour que l’enfant
demain
se sente léger
confiant
dans des
vêtements frais propres
Même si
demain n’est plus
dans la suite des
jours
Même si
demain
ne verra pas le
jour.
Les
Intermèdes musicaux étaient extraits de :
- Les
7 dernières paroles du Christ en croix ( Heinrich
Schütz )
- Suite pour violoncelle seul,
en si mineur ( Jean-Sébastien Bach )
- Suite
pour violoncelle seul, en si mineur ( Jean-Sébastien
Bach )
- Johannes Passion Chorals (
Jean-Sébastien Bach )
Introduction
du Pasteur Antoine NOUIS, pour le volume "Sept
paroles de vie"
Les
méditations qui composent les différents chapitres de
ce livre sont le texte, à peine modifié, des
conférences du " Carême Protestant " qui
ont été diffusées sur France Culture en
mars-avril 2000.
Lorsqu’on
m’a proposé de prendre en charge ces conférences,
j’ai tout de suite pensé à une série de
narrations que j’avais écrites pour une liturgie de
Vendredi Saint. J’avais pris la liberté littéraire
de rassembler autour de la croix sept personnages, cinq hommes et
deux femmes, et de leur donner la parole pour qu’ils expriment
la façon dont ils ont entendu les sept dernières
paroles que le Christ a prononcées avant de mourir. Un soldat,
un brigand, un disciple, un officier, une étrangère, un
religieux et une amie proche se retrouvent au Golgotha.
Qu’entendent-ils ? Que disent-ils ?
Ces narrations
sont des prédications, c’est-à-dire qu’elles
se situent du côté de l’interprétation et
non de la source historique. Mais comme toutes prédications,
elles ne font pas l’économie d’une lecture
minutieuse du texte biblique, et d’un travail d’exégèse.
Si nous avons
choisi ce procédé, c’est qu’il semble
particulièrement pertinent pour parler de la croix. Au-delà
de toutes les explications elle demeure un événement
qui fait éclater nos cadres de pensée, et qui
transcende nos raisonnements. Dès que nous cherchons à
expliquer la croix, nous courons le risque d’apprivoiser ce qui
restera toujours de l’ordre de la folie et du scandaleux. En la
racontant nous demeurons dans le domaine de l’interprétation,
mais nous lui laissons de l’espace pour dépasser nos
paroles.
Les épîtres
de Paul articulent la croix avec la grâce. Elle débouche
sur un autre thème qui, par définition, relève
de l’indicible. Si la grâce est grâce, elle échappe
à toute logique, elle déjoue toute tentative de vouloir
l’enfermer dans un système cohérent. Si la grâce
ne peut pas s’expliquer, elle peut néanmoins se
raconter. C’est ce que nous avons essayé de faire en
suivant le cheminement de sept personnes qui ont entendu les paroles
d’un mourant, et qui les ont reçues comme des paroles de
vie.
Pour les
émissions du Carême, nous avons demandé aux
comédiens de la troupe Sketch up d’interpréter
ces sept personnages. Je suis reconnaissant à son responsable,
Olivier Arnéra, pour les conseils qu’il m’a donnés
afin d’adapter ces récits à une écriture
radiophonique.
La seconde
partie de chaque émission est plus classique. Elle comprend
des méditations qui essayent de développer et
d’actualiser la parole des comédiens. Elles me donnent
l’occasion de développer une théologie de la
croix qui se déploie autour des thèmes du pardon et de
la conversion, de l’absence et de la persévérance,
de la quête de Dieu et de l’accomplissement des
Écritures.
Puisque ce
livre est la reprise des conférences de Carême, il me
revient de remercier tous ceux qui m’ont accompagné dans
ce travail. Les amis de l’Eglise de Paris-Annonciation qui ont
eu à cœur de me laisser le temps nécessaire pour
l’écriture, ma famille qui a pâti de mon manque de
disponibilité pendant les derniers mois qui ont précédé
les enregistrements, Geneviève Barnaud ma correctrice
attitrée, et enfin Dominique Fano-Renaudin qui a fait un gros
travail de recherche pour l’illustration musicale et qui a
déployé ses talents de comédien pour lire les
citations.
Antoine
NOUIS