Carême 1963 :LA CATHOLICITÉLA CATHOLICITÉ
On appelle catholicité le caractère universel de l’Eglise de Jésus-Christ répandue sur toute la surface de la terre. C’est-à -dire ce qui fait que l’Eglise, bien que se présentant sous des formes diverses, selon les lieux et selon les époques, est cependant toujours la même Eglise. La vérité qui la fonde et qui la fait vivre est la même vérité. Il nous faut reconnaître que c’est l’Eglise catholique romaine qui donne les signes les plus manifestes de catholicité, quand ce ne serait que par le nombre de fidèles qu’elle rassemble, leur répartition sur la surface de la terre, mais aussi par le caractère très accentué d’unité qu’elle présente. C’est donc à juste titre que l’Eglise catholique romaine s’appelle catholique. Je voudrais cependant prendre aujourd’hui le mot catholicité dans un sens plus étendu et voir comment nous pouvons l’appliquer à l’ensemble des Eglises chrétiennes. En effet, si les Eglises, au lieu de se comparer les unes aux autres, au lieu de s’ignorer en affectant de ne pas se voir, au lieu de s’exclure mutuellement, prennent conscience qu’elles vivent du même Evangile et qu’avec des vocations qui sont peut-être diverses, elles tiennent cependant toutes choses du même Seigneur Jésus-Christ ; si ces Eglises sont ainsi conduites à entrer dans un dialogue les unes avec les autres, comme cela semble bien, en effet, le cas dans ce que l’on appelle les relations œcuméniques, alors le terme de catholicité peut, à juste titre, être étendu à l’ensemble de la chrétienté et servir à désigner précisément ce dépassement des positions traditionnelles. C’est dans ce sens, ce second sens, que nous voudrions prendre aujourd’hui le terme de catholicité. Cette catholicité qui, à proprement parler, n’a pas d’établissement, exerce cependant un pouvoir manifeste sur quantité de chrétiens appartenant d’ailleurs à des Eglises différentes. Il est par exemple indéniable que dans les églises protestantes, en ce moment, bon nombre de personnes s’intéressent vivement à ce qui touche l’Eglise universelle et ressentent une aspiration à la catholicité. Mais il faut le comprendre dans le second sens que j’ai défini. Il ne s’agit pas d’un prestige qu’une Eglise exercerait sur une autre et je dois à la vérité de dire que je ne constate nulle part, dans les milieux que je fréquente, le moindre appareillage laissant deviner un mouvement de retour des protestants vers l’Eglise catholique romaine. Non, c’est en avant de nous, c’est de l’avant que quelque chose nous appelle et appelle des chrétiens de différentes Eglises. Nous nous proposons de voir quels sont les caractères de cette catholicité. L’Ecriture parle-t-elle de la catholicité ? Le mot ne s’y trouve pas, mais il y est fait souvent allusion, par exemple dans les textes de l’Ancien Testament qui concernent la portée universelle de la révélation d’Israël et dans des textes du Nouveau Testament qui décrivent les conséquences de l’œuvre accomplie par Jésus-Christ. Je ne vais pas vous donner toutes les références de ces textes. Il n’est, du reste, pas toujours facile de savoir s’ils se rapportent à la situation présente que nous sommes en train de vivre, ou s’ils annoncent les conditions du Royaume de Dieu. J’en citerai seulement deux, particulièrement clairs pour notre étude. Ce sont des textes où Jésus donne à l’Eglise , en fait à ses disciples, mais à travers ses disciples à l’Eglise , la mission à laquelle elle doit répondre. A la fin de l’évangile selon Saint Matthieu : "Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez et faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde". Et également, au début du livre des Actes des apôtres, lorsque les disciples demandent : "Est-ce bientôt que tu rétabliras le royaume d’Israël ?", Jésus répond : "Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixé de sa propre autorité, mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre". Nous allons retenir ce texte sous cette forme abrégée : "Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la Je ferai trois constatations à ce sujet. La première, c’est que cette parole se présente à nous sous la forme d’un commandement, en vue d’une obéissance que Jésus-Christ veut obtenir de ses disciples, et par conséquent de son Eglise. La tentation à éviter est précisément de considérer la catholicité comme un état de fait, comme une chose acquise, dont on peut tirer argument dans des discussions pour convaincre un hésitant ou un contradicteur. On est mal inspiré de dire à quelqu’un : "Mon cher ami, cela ne vous frappe-t-il pas que la foi chrétienne soit répandue sur toute la surface de la terre, et qu’elle donne des signes d’authenticité dans tous les peuples ? Passe encore pour l’Eglise primitive où l’on pouvait penser que cette espérance chrétienne serait une flambée sans lendemain, mais après vingt siècles d’histoire et de civilisation, la vérité s’impose, et c’est votre parti pris qui vous empêche d’y adhérer". La catholicité ne se prête pas à ce genre d’argumentation. Elle est un commandement de Jésus-Christ à son Eglise : "Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre". A première vue, on pourrait penser que ce texte concerne uniquement les missionnaires, les évangélistes, les personnes qui ont reçu la vocation particulière d’aller annoncer l’Evangile, au-delà des mers, dans des pays éloignés où il n’est pas connu. C’est une vue trop étroite. Quand Jésus dit à ses disciples : "Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie", il n’insiste pas sur la nécessité de voyager, mais sur une certaine manière d’être là où l’on est, en quelque lieu que ce soit, une certaine façon d’être présent, une certaine manière de voir les choses et d’approcher les personnes. Ce n’est pas le déplacement d’un lieu à l’autre qui est spécifique de la mission de l’Eglise, mais c’est la conscience que l’on est envoyé à la place qu’on occupe. C’est donc non pas à quelques hommes seulement, mais à l’Eglise tout entière, que Jésus adresse son ordre de mission. Les missionnaires pour leur part, François Coillard, le Père de Foucault, le Docteur Schweitzer et tant d’autres sont des illustrations frappantes et comme des démonstrations de la force du commandement de Jésus-Christ. Ils sont sans doute des rappels dont nous avons besoin, mais ils n’assument pas à eux seuls ce commandement. Nous aussi, nous devons l’entendre. Nous devons comprendre que nous ne sommes pas installés aux places que nous occupons dans le monde, mais que nous y sommes envoyés, porteurs, peut-être à notre insu, d’une mission qui est un témoignage. "Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre". On peut atteindre les extrémités de la terre sans changer de place. "Aux extrémités de la terre", c’est une expression courante dans les Ecritures saintes qui signifie la limite extrême des conditions de la vie, la frontière du monde habitable, c’est-à -dire les zones au-delà desquelles il n’y a plus rien d’humain qui puisse être imaginé. Il ne faut donc pas donner un sens trop géographique à cette expression. En fait, les confins de la terre, les confins de la condition humaine sont très proches de nous. En un sens, nous les portons en nous-mêmes. Il n’est pas nécessaire de voyager pour savoir en quoi consiste l’extrémité des possibilités de la vie. Nous sommes tous dans des conditions assez précaires, nos existences sont assez menacées par les accidents, la maladie et la mort, assez marqués par la dégradation du temps qui passe, nous sommes confrontés à des énigmes assez redoutables auxquelles nous ne savons pas donner de réponse à supposer que nous sachions les formuler, pour comprendre que chacun de nous se trouve dans cette extrémité même. Et sans doute devrions-nous savoir reconnaître autour de nous les amis qui vivent dans un vrai désert, comme dans une région inhabitable, à toute extrémité, bien que rien, au dehors, ne le fasse soupçonner. C’est donc bien à nous, c’est bien ici et c’est bien dans notre condition présente que nous avons à comprendre et à recevoir le commandement de Jésus-Christ. La catholicité comprise ainsi, à la lumière de notre texte, met en question le fidèle, le membre d’église plutôt que l’homme du dehors. Voici ma deuxième remarque. La catholicité se présente ici comme une épreuve. Prendre conscience de ce que dit Jésus-Christ, selon l’intention de sa parole, et vouloir en tenir compte, c’est partager nécessairement une certaine pauvreté de l’Eglise, faite de dénuement et parfois de détresse. Je voudrais m’expliquer sur ce point. Quand Jésus donne à ses disciples l’ordre d’être ses témoins jusqu’aux extrémités de la terre, quels moyens leur donne-t-il pour cette œuvre, quelles armes pour ces combats ? Aucune. Les disciples demandaient : "A quel moment établiras-tu ton Royaume ?". Jésus répond : "Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixé de sa propre autorité", et il ajoute : "Mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous". Je vous recommande de ne pas vous laisser abuser par ce mot puissance et de ne pas croire que, selon ce texte, les disciples étaient dotés d’un pouvoir exceptionnel dont ils pouvaient disposer librement. Ce qui est dit ici, c’est que les disciples sont envoyés en mission sans aucun autre moyen que la promesse du Saint-Esprit. Et manifestement, ne disposer que du Saint-Esprit, c’est ne disposer de rien. Non pas que le Saint-Esprit ne soit rien, mais que le Saint-Esprit est en tout cas ce dont on ne peut pas disposer. Car le Saint-Esprit, c’est Dieu lui-même et c’est lui qui dispose de nous. D’ailleurs, Jésus le dit bien : "Le Saint-Esprit survenant sur vous". Ces hommes ont donc reçu ce jour-là un ordre de mission, avec la promesse que le Saint-Esprit les accompagnerait et tirerait parti de leur obéissance, mais nullement qu’ils auraient à leur disposition un pouvoir quelconque. Et c’est ainsi que ces hommes se sont avancés sur les routes de la Syrie et de la Macédoine, n’ayant pour eux, comme réconfort, que la parole entendue de leur Seigneur Jésus-Christ, et comme moyens personnels, que leur propre parole. C’est ainsi qu’ils se sont mis en chemin. Je sais, il y a eu quelques miracles. Les miracles sont cependant moins nombreux qu’on ne croit. Ceux qui ont été rapportés par le Nouveau Testament sont bien, en effet, des miracles, mais ce qui n’est pas rapporté, c’est le temps qu’il a bien fallu vivre où rien ne s’est passé. Du reste, un miracle n’apparaît comme miracle qu’après coup ; sur le moment, il est plus surprenant que démonstratif et, de toute façon, on ne peut pas en disposer ni le prévoir. Non, ces hommes n’avaient pour eux que la Parole. La lecture du livre des Actes des apôtres peut donner parfois l’impression d’une marche triomphale de l’Evangile dans le bassin méditerranéen, mais c’est une fausse lecture. Il y a bien eu de grands moments, ce sont ceux dont il est parlé, mais il y a eu tous les autres et je dis que ces hommes, ne disposant d’aucun moyen, quand ils sont arrivés à Ephèse, à Corinthe, à Athènes, se sont trouvés dans une situation de détresse, sans doute de détresse surmontée, mais de détresse. Prendre au sérieux l’ordre de Jésus-Christ : "Vous serez mes témoins", c’est nécessairement partager cette détresse. L’Eglise connaît cette détresse. Elle est dans l’ignorance des temps et des moments. Elle sait que l’œuvre de Christ est accomplie et qu’elle sera révélée, mais elle ne sait pas quand ; peut-être un jour, peut-être mille ans. Elle sait que tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle est n’a de sens que comme annonce et préparation de cet événement qui est la manifestation de Jésus-Christ. Mais elle ne sait rien de la forme historique que prendra cet événement, ni selon quel mode il se déroulera. Elle ne sait pas comment cela se passera, ni où, ni quand et elle ne peut pas dire comment cela est possible. Elle reçoit seulement le commandement d’avancer en vue de cet événement et d’aligner toute sa conduite à son espérance. Qui ne voit la situation dépouillée de l’Eglise ? Elle avance donc et elle parle. Elle ne peut pas se donner elle-même de l’importance. Elle ne peut pas vanter les mérites de Jésus-Christ, car les mérites de Jésus-Christ sont secrets, et l’on sait bien qu’ils n’ont pas frappé les contemporains même de Jésus. Du reste, ce ne sont pas les mérites de Jésus-Christ que l’Eglise est chargée d’annoncer, c’est sa résurrection. L’Eglise ne peut pas tirer parti, comme d’une démonstration, des cérémonies qu’elle organise, ni même des sacrements qu’elle célèbre. Le sacrement n’est jamais que le signe visible d’une grâce invisible et ce signe n’a pas de pouvoir en lui-même. L’Eglise ne peut pas mettre en avant, comme s’ils étaient significatifs, les fruits de la vie chrétienne de ses membres, l’amour fraternel, la générosité, l’oubli de soi, l’ouverture d’esprit, l’aptitude à pardonner, non que ces fruits n’existent pas, mais parce qu’il leur appartient, là où ils existent, de rester cachés. Pour finir, il reste la Parole, mais je dis que la Parole, n’avoir que la Parole, est une situation de détresse lorsqu’il s’agit de révéler l’Evangile de Dieu. Car il faudrait faire entendre une Parole vivante, la faire entendre comme par le dedans, il faudrait lever le voile qui empêche de voir, dénouer ce qui empêche de comprendre, forcer les résistances, déjouer les mensonges, chasser les démons. Il faudrait pouvoir guérir les malades, faire entendre les sourds, donner la vue aux aveugles, ressusciter les morts, et voilà , il n’y a que la Parole. Le prédicateur connaît bien cette situation. Il a devant lui un auditoire qui attend et qui a raison d’attendre, car il attend la vérité, ce dont on ne peut pas se passer. Et le prédicateur est là , il est là , les mains vides, sans argument, sans démonstration, avec ses pauvres papiers qui sont un secours illusoire, il est là sans pouvoir tirer parti lui-même de la situation où il se trouve. Je sais bien que Dieu est fidèle à ses promesses ; je sais qu’il tire lui-même le parti qu’il veut des situations dans lesquelles il nous place ; je sais qu’il intervient lui-même, qu’il se saisit d’une parole, d’une parole qui n’est qu’humaine et faible sur les lèvres de celui qui la prononce et qui devient par ses soins, comme si elle était chargée de sens pendant son transfert, une parole vivante, une parole créatrice dans le cœur de celui qui l’entend. Je le sais et je vous le rappelle pour les moments où vous avez vous-même à vous adresser à un ami et où vous souffrez de la faiblesse de votre témoignage. Une promesse est attachée à votre obéissance. Mais je me place ici au point de vue du témoin, de celui qui reçoit l’ordre d’avancer, et je dis qu’il est démuni et qu’il ne peut pas ignorer la détresse de l’Eglise. La catholicité n’est pas la preuve que l’Evangile est vrai, c’est l’épreuve de ne pas être maître de cette vérité, à laquelle cependant nous sommes tenus. Enfin, je fais une troisième remarque. Il est clair, selon le commandement de Jésus : "Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre" que l’Evangile, la bonne nouvelle de Jésus-Christ est tournée vers le dehors de l’Eglise et prononcée sur ce qui lui est extérieur. Quand Jésus dit : "Vous serez mes témoins", cela signifie : vous serez les témoins de ma présence là où vous irez. Cela ne veut certainement pas dire les témoins de mon absence. Je précise le point parce que, dans le langage courant, le témoin est parfois requis à la place d’une personne absente. Il ne peut pas être question de cela ici. Ce n’est pas à cause de son absence, mais c’est à cause de sa présence dans le monde, sa présence qui ne tombe pas sous les sens, que Jésus veut avoir des témoins. D’ailleurs, ses disciples l’ont bien compris. Dans les récits de l’Eglise primitive, on voit que les disciples ont vécu dans la connaissance de cette présence même de Jésus, qui allait, qui venait, les précédant et se servant d’eux, comme s’il se servait d’un corps, pour accomplir son œuvre qui était toujours appelée l’œuvre du Seigneur. "Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre", cela veut donc dire que partout où nous allons, nous sommes envoyés pour être les signes, les indicateurs d’une vérité qui est déjà là , d’un Evangile qui n’est peut-être pas connu, mais qui est là de plein droit. Et pourquoi nous en étonner s’il est vrai qu’en Jésus-Christ, Dieu a réconcilié le monde avec lui-même ? Ceci a une certaine importance. Car si l’Eglise n’est pas résolument tournée vers le dehors d’elle-même, si elle n’a pas le souci d’être le témoin, auprès des hommes, de la présence et de la grâce de Jésus-Christ, si elle cesse d’être envoyée dans tout l’environnement où elle se trouve, si elle se contente de croire pour elle-même et de vivre sa vie chrétienne à l’abri du monde, il arrive qu’elle développe, à son insu, autour d’elle, un sentiment de malaise, le sentiment que l’on est dehors ; elle crée une zone d’extériorité où la solitude est plus lourde. Je connais des personnes qui sont profondément marquées par ce sentiment d’extériorité. Le seul lien qu’elles ont avec l’Eglise, semble-t-il, c’est cette souffrance qu’elles éprouvent de ne pas pouvoir prendre au sérieux ce qui s’y passe, et non plus de ne pouvoir y renoncer, et de rester ainsi en dehors, mais dans le voisinage de ce qui fait par ailleurs la joie des fidèles. "Vous serez mes témoins, dit Jésus, les témoins de ma présence jusqu’aux extrémités de la terre". Nous devrions par là comprendre que nous sommes envoyés vers ces personnes afin qu’elles sachent qu’elles sont accueillies, qu’elles sont connues, qu’elles sont approchées, qu’elles sont maintenues en vie par une intention formelle de Dieu, car Dieu veut leur existence et Jésus-Christ est avec elles. Jésus-Christ est leur partenaire. L’Eglise doit pouvoir annoncer cela et l’annoncer de façon désintéressée, sans arrière-pensée, sans habileté, sans avantage escompté, sans complaisance de bienfaiteur, sans calcul de recrutement, sans idée de supériorité, sans conscience que l’on fait le bien, mais par respect de l’homme et de sa situation d’homme, par obéissance à l’ordre de Jésus-Christ, et selon l’Evangile de la réconciliation dont elle a le dépôt. "Vous avez reçu gratuitement, disait Jésus à ses disciples, donnez aussi gratuitement". Ainsi donc, la catholicité n’est pas une citadelle qui défendrait ses positions, une muraille qui crée de l’extériorité auprès d’elle ; elle est un visage tourné vers le dehors, une parole humaine prononcée. Le ministère de l’Eglise ne consiste pas à assombrir la situation de ceux qui n’ont pas la foi. L’Eglise n’a pas la fonction de créer une zone d’ombre autour d’elle pour tout ce qui lui est extérieur, au profit d’une zone de lumière pour ceux du dedans, à la manière d’une loupe qui retient et dévie la lumière, la retirant d’un secteur pour la concentrer sur un autre. Ce serait une chose affreuse si la joie des fidèles dans l’Eglise était ainsi en rapport et en proportion avec la privation que les autres éprouvent d’être traités comme ceux du dehors. Non, le ministère de l’Eglise, c’est la diffusion d’une lumière qui n’est retirée à personne (sauf sans doute à Jésus-Christ la nuit où il fut livré). Le ministère de l’Eglise est l’activité silencieuse de la lampe allumée qui éclaire plus loin qu’elle-même et qui se consume à ce service de rendre la vie possible autour d’elle. Telle est la catholicité. C’est ce service auquel vous êtes conviés. Que vous ne tourniez pas vers l’extérieur, vers le monde, un visage sévère, ombrageux, soupçonneux ou désabusé, mais que vous tourniez vers l’extérieur le visage de ce que vous avez connu de plus précieux en Jésus-Christ. En terminant, je constate qu’au cours de cette prédication, j’ai toujours parlé de la parole de Jésus comme d’un commandement. Il faut dire aussi que c’est une promesse. "Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre", c’est l’annonce de ce que Jésus-Christ veut précisément faire avec chacun de vous et ce qu’il est en train de faire. N’entendez pas cette parole comme la parole d’un maître lointain qui se tiendrait à distance et qui serait donc absent ; entendez-la comme la promesse de celui qui se tient près de vous, qui prend soin lui-même que sa parole soit entendue et comprise et qui vous appelle à un service du prochain qui est au-dessus de vos moyens et qui est cependant possible, dans la détresse, en communion avec l’Eglise universelle, c’est-à -dire avec la catholicité. |