LA VIE EST INVISIBLE POUR LES YEUX
Vivre de ce qui est impossible à reproduire
Notre esprit est peuplé de représentations héritées
du plus profond de notre histoire, de fantômes qui nous
hantent à notre insu et qui parfois nous pourrissent la vie.
Ces images sont d’autant plus redoutables qu’elles nous
semblent sacrées, intouchables, d’autant plus meurtrières
qu’elles semblent nous vouloir du bien. Et pourtant, elles
sont fatales.
« Laisse les morts enterrer leurs morts, et toi, quand
tu es en chemin, tu annonces le Royaume de Dieu ! » La vie
est invisible pour les yeux, alors ne t’accroche pas aux images
qui t’empêchent de vivre ! Même si ce sont de saintes
images. Surtout si ce sont de saintes images.
C’est ce que nous montre un étrange épisode de
l’Ancien Testament, dans le premier livre de Samuel, au
chapitre 28.
Le premier roi d’Israël s’appelle Saà¼l. C’est à lui que
David succédera. Saà¼l a été mis sur le trône, par le prophète
Samuel. Or, au moment de ce récit, Samuel vient de mourir
et le roi est dans une détresse totale. Non seulement son
soutien spirituel, sa légitimité institutionnelle, son référent
ont disparu, mais il doit faire face à des revers militaires, et
surtout son Dieu demeure silencieux, sourd et muet. Tant
que Samuel était vivant, Dieu parlait par sa bouche. Mais
depuis que le prophète est mort, Saà¼l fait l’expérience la plus
commune que nous avons de Dieu : son silence. Apeuré par
la menace ennemie et face à ce silence, Saà¼l ne sait plus qui
il est. Il ne sait quelle décision prendre, il n’a même plus le
goà »t d’en prendre. Avec les mots d’aujourd’hui, on dirait : il
fait une dépression. Les images qui composaient son monde
s’effondrent. Même sa représentation de Dieu sur laquelle il
avait fondée sa propre image s’est évanouie avec la mort de
Samuel. Saà¼l est comme mort, en proie à une dépression,
véritable crise d’identité.
Au royaume des fantômes, l’idole est reine !
Samuel est mort. Tout Israël organise des cérémonies
de deuil. On l’enterre à Rama, sa ville. [A cette époque],
le Roi Saà¼l avait interdit d’ interroger les morts
et autres pratiques de devins.
[Ses ennemis], les Philistins s’étaient regroupés, et
avaient planté leurs tentes à Shounem. Saà¼l avait
regroupé tout Israël à Guilbo, dans un campement.
Mais quand Saà¼l voit le camp des Philistins, il est
pris de terreur et tremble au plus profond de lui.
Alors, il questionne le Seigneur. Mais le Seigneur ne
répond pas. Ni en rêve, ni par le tirage au sort des
objets sacrés, ni par les prophètes.
Saà¼l dit à ses serviteurs : Cherchez-moi une femme capable d’ interroger les
morts. Je vais aller la consulter.
Ses serviteurs lui disent : Il y a une nécromancienne, à Ein-Dor
Saà¼l change de vêtements pour ne pas être reconnu,
et il s’en va à Ein-Dor, avec deux hommes. Ils arrivent
chez la femme, de nuit. Le roi lui demande : Appelle-moi un fantôme ! Fais-moi monter celui
dont je vais te dire le nom !
La femme lui répond : Tu connais les ordres de Saà¼l ? Il a interdit dans
tout le pays les pratiques pour interroger les morts.
Tu veux donc me faire mourir en me tendant un
piège ?
Mais Saà¼l jure : Par le Seigneur qui est vivant, il ne t’arrivera rien
dans cette histoire !
,œ Qui veux-tu que je te fasse monter ? , dit la femme.
Il répond : Samuel ! Fais-le monter pour moi !
La femme voit Samuel. Elle pousse un grand cri. Elle dit à Saà¼l : Pourquoi m’as-tu trompée ? Tu es Saà¼l !
Saà¼l lui dit : N’aie pas peur ! Que vois-tu ?
,œ Je vois un dieu, un Elohim, je l’ai vu monter de
terre !, dit la femme.
,œ Quelle est son apparence ? , demande Saà¼l.
La femme répond : C’est un homme, âgé, il a un manteau .
Alors, Saà¼l le sait : Oui, c’est Samuel ! Et il s’ incline
à terre avec respect.
Samuel lui dit : Que viens-tu troubler mon repos, en me faisant
monter ?
Saà¼l répond à Samuel : Je suis en détresse. Terriblement. Les Philistins me
font la guerre, et Dieu s’est éloigné de moi. Il ne me
répond ni par les prophètes, ni en rêve. J’en appelle à
toi, fais moi savoir ce que je dois faire !
Samuel lui répond : Pourquoi m’ interroger ? Le Seigneur s’est écarté
de toi. Il est devenu ton adversaire. Le Seigneur a
agi comme il l’a dit par ma bouche : il a déchiré la
royauté d’entre tes mains, il l’a donnée à un autre,
David.
1 Samuel 28
Bien étrange récit. D’autant plus dérangeant que
l’histoire finit effectivement, quelques temps plus tard,
par la mort de Saà¼l et de ses fils.
Déjà les Pères de l’Église avaient des difficultés avec
cet épisode de la Bible. Jérôme y voyait une supercherie,
Justin et Basile de Césarée une main démoniaque, -éodoret
de Cyr et Augustin un ange que Dieu aurait transformé
en magicien.
Aujourd’hui, ce récit met à mal notre rationalité :
les fantômes, pour la plupart d’entre nous, n’existent pas !
Ceux qui y croient passent pour des superstitieux égarés,
quand ils ne se voient pas opposer l’interdit biblique de
converser avec les morts. D’où notre malaise, comme si
la Bible jouait avec ce qu’elle défendait. Alors comment
entendre ce texte ? à‚¬ la manière de Luther : « Là où est
ton coeur, là est ton Dieu ! » Tu crois qu’on peut faire remonter
les morts et leur parler ? Alors, ils te parleront et
ils te diront des paroles de morts. La question est donc la
suivante : qui sont tes dieux ?
Ne nous précipitons pas trop vite pour répondre
! Rendons au moins cette grâce à Saà¼l qu’il n’était
pas moins bon croyant que nous, et qu’il se réclamait du
même Dieu que nous, le Seigneur, comme on dit. Alors, si
lui est tombé dans le panneau...
Qui sont tes dieux ? Des dieux de vie ou des dieux
de mort ? Je dis dieux au pluriel, parce que nous avons
tous des dieux. Les incroyants ont les dieux qu’ils réfutent.
Pour se dire athée, il faut déjà pouvoir savoir ce qu’est
un dieu. Les croyants, ceux qui se réclament du Seigneur,
en ont tous des représentations diverses. C’est pourquoi
la foi juive fait tout son possible pour éviter qu’on réduise
Dieu à l’image ou à l’idée qu’on en a. « Tu ne te feras
pas d’ images taillées... » [1] dit la loi. C’est aussi pourquoi
les juifs écrivent le nom de Dieu, mais ne le prononcent
pas. A la place, ils disent Adonaï, un nom différent de
celui qu’ils écrivent [2]. Ils marquent ainsi l’écart entre ce
qu’on peut voir et l’étrange, l’insaisissable réalité de l’être.
Croyant ou pas, chacun a des dieux, des idéaux, des idées,
des valeurs, des attachements sacrés qui tiennent la place
de dieux. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les
mots idée, idéal, et idoles ont une même racine commune
qui signifie « voir ».
Quelles images idéales avons-nous de nous-mêmes,
des autres et de Dieu au point qu’elles finissent par être des
idoles qui se retournent contre nous-mêmes ?
Crise au royaume des idoles !
Donc Saà¼l était perdu. Roi déchu, guerrier menacé,
croyant disgracié, il ne savait plus qui il était. Crise de
dépression, crise d’identité, crise de foi.
Qui suis-je ? Petit humain perdu à la surface d’une
terre qui tourne trop vite pour que cela soit honnête, petit
humain accroché à des vertus qui n’ont plus pignon sur rue,
qui suis-je ? Que nous réserve Dieu ? Pourquoi demeure-t-il
muet ? Pourquoi ne déchire-t-il pas le ciel ? Pour vivre, pour
croire, il nous semble qu’il faudrait voir, au moins entrevoir
le ciel manifester sa volonté. Voir un signe, voir quelque
chose qui puisse attester une vérité. Alors, on réclame des
prophètes, on réclame des Samuels, des « voyants » comme
le dit l’hébreu [3]. Quand tout se tait, il nous faut des voyants,
quitte à aller les chercher parmi les morts. Ainsi, on commémore,
on se remémore, on réécrit l’histoire au risque de
la falsifier, juste pour revenir au bon vieux temps, au temps
béni de la chrétienté où tout semblait aller de soi, où Dieu
était évidence. La tentation est grande d’aller chercher le
remède à nos désirs indécis du côté de nos fantômes. Toutes
nos vies sont plus ou moins hantées par des spectres : images
d’un passé idéalisé qu’il faut satisfaire.
On sait peu de choses historiques sur le règne de
Saà¼l. C’est peut-être parce que le récit biblique ne cherche
pas à dire des faits objectifs, dans le souci de l’exactitude
scientifique, mais à forger une « identité nationale »,
comme on dirait aujourd’hui. Mélancolie alternant avec
exaltation, jalousie maladive, en proie aux interdits qu’il a
lui-même édictés, Saà¼l est le reflet de l’âme humaine. La
question est celle de l’identité. Dans le contexte historique
du livre de Samuel : sur quoi la royauté doit-elle être
fondée ? En d’autres mots, quels éléments rendent le roi
fiable ? Et dans notre contexte : sur quoi fonder la confiance
? Sur ce qui se voit ou sur ce qui est invisible ? Question
pour chacun de nous.
La nécromancienne reconnaît Saà¼l en voyant le
fantôme de Samuel. « Dis-moi quels fantômes te hantent,
et je te dirai qui tu es ! » Ce récit se déploie sur le versant
inconscient de nos histoires. Il parle des bagages que chacune
et chacun portent sans le savoir. Valises encombrantes
et lourdes, qu’on dépose à la consigne, pour les soustraire
au regard, le temps de l’oubli. Ou bien malles que
l’on exhibe, couvertes d’étiquettes pour montrer qu’on est
grand voyageur : notre généalogie nous sert si souvent de
carte d’identité, je devrais dire de pedigree ! Comme s’il
fallait aller chercher du côté des morts la justification de
notre vie. à‚¬ l’abri des regards, enfoui dans la pénombre des
cauchemars, ou affiché aux yeux de tous, notre passé nous
confine dans des images qui nous tiennent lieu d’identité.
Nos fantômes nous confisquent le droit de vivre en dehors
de leur culte. « Dis-moi quel spectre te hante, je te dirai
qui tu es ! »
La raison commanderait de s’affranchir de ces liens
obscurs, de faire taire ces fantômes, qui ne sont que des
fantômes. Saà¼l le savait bien, lui qui avait interdit la pratique
de commercer avec les morts. La volonté commande.
Mais elle demeure impuissante ! Tous ceux qui sont passés
par la case dépression vous le diront ! Rompre le lien avec
ce qui hante l’arrière-fond de nos âmes ne relève pas de la
volonté. Bien au contraire, il semble que ce que la volonté
refoule, l’angoisse le fasse ressurgir avec plus de force, malgré
soi. C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre l’étrange
comportement de Saà¼l : Il fait ce qu’il a interdit de faire,
parce qu’il ne sait plus qui il est. Il lui faudrait quelqu’un
d’autre pour le lui redire. Mais, dans le silence, il ne découvre
qu’une image qui l’enfonce. Ainsi, remonte en lui,
irrésistiblement, ce qui le lie à un dieu de mort. Vous avez
peut-être remarqué que la nécromancienne dit : « J’ai vu
monter un dieu. J’ai vu monter un Elohim. » Il ne suffit
pas d’invoquer dieu, il ne suffit pas de dire : dieu, dieu,
dieu ! pour parler du Dieu vivant. Saà¼l a beau dire : « le
Seigneur est vivant ! », il va le chercher chez les morts ! Bien
souvent, nos élans religieux, nos incantations croyantes ne
font que cultiver des dieux de mort. Des dieux dont on
hérite par généalogie, des dieux qui nous hantent et nous
poursuivent d’accusations sans fin. Ces dieux ressemblent
à Dieu, ces dieux sont ceux qui nous ont été transmis,
mais ils nous plombent !
Saà¼l en meurt.
C’est vrai, nous héritons souvent de dieux qui ne
nous autorisent pas à une identité propre. Des dieux qui
n’ont pas le souci de nous faire grandir (puisque c’est ce
que signifie le mot autorité), mais qui ont pour but de nous
rendre semblables aux spectres qui constituent nos portraits
de famille. Des dieux qui nous assimilent à l’image
de nos fantômes. Bien des familles, parmi les plus pieuses
tuent ainsi leurs enfants à coups de vertu obligée ! Et on se
surprend soi-même, attaché à préserver l’image familiale,
à la cultiver même, en lui sacrifiant notre identité. Même
si ça [4] fait mal, on tente de maintenir l’édifice, et même
de le sauver. Car s’il s’effondrait, c’est tout notre être qui
serait en crise.
Eh bien ! il se peut que cette crise soit salutaire !
La part vivante de soi :
celle qui échappe à toute image !
Dans l’évangile de Matthieu [5], un autre récit pose
la même question. Des Sadducéens viennent voir Jésus et
lui raconte cette petite histoire histoire de démontrer
l’impossibilité de la résurrection !
Ce jour-là , des Sadducéens s’approchèrent de lui.
Les Sadducéens disent qu’ il n’y a pas de résurrection.
Ils lui posèrent cette question :
« Maître, Moïse a dit : Si quelqu’un meurt sans avoir
d’enfants, son frère épousera la veuve, pour donner
une descendance à son frère. Or il y avait chez nous
sept frères. Le premier, qui était marié, mourut ; et
comme il n’avait pas de descendance, il laissa sa femme
à son frère ; de même le deuxième, le troisième, et
ainsi jusqu’au septième. Finalement, après eux tous,
la femme mourut. Eh bien ! A la résurrection, duquel
des sept sera-t-elle la femme, puisque tous l’ont eue
pour femme ? »
Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne connaissez
ni les Écritures ni la puissance de Dieu. A la résurrection,
en effet, on ne prend ni femme ni mari ; mais on
est comme des anges dans le ciel. Et pour ce qui est de
la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu la parole
que Dieu vous a dite : Je suis le Dieu d’Abraham, le
Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu
des morts, mais des vivants. »
En entendant cela, les foules étaient frappées de son
enseignement.
Cette histoire de résurrection est impossible ! Les
Sadducéens, qui engagent cette polémique avec Jésus, se
refusent à croire ce qui n’est pas imaginable.
Remarquez, il n’y a pas qu’eux à penser de cette façon
: certains chrétiens ne veulent croire à la résurrection
que comme un retour au visible connu. Dans leur effort
pour croire, ils sont dans la négation de la foi, car la foi
ne peut être que confiance en ce qu’on ne voit pas. Et de
fait, les récits de Pâques précisent que le Ressuscité n’est
pas la reproduction du Jésus qu’on avait connu. Ceux qui
l’avaient connu ne le reconnaissent pas. Et, l’apôtre Paul,
sur le chemin de Damas, le reconnaît sans l’avoir jamais
rencontré et sans le voir [6] ! La foi ne repose pas sur des
certitudes visibles et palpables, c’est un risque que l’on ne
peut prendre que dans le doute. De même que Saà¼l avait
besoin d’être conforté dans ses images passées, de même
il y a une façon de croire qui n’est que crispation sur ce
que l’on peut voir : ne serait vrai que ce qui peut être vu.
Que ce qui peut être reproduit. Or la résurrection n’est
pas reproduction !
Ce n’est pas l’image qui est en question, mais le
rapport que nous avons avec elle. Cherche-t-on à repro
duire, à prendre un paysage, une scène, un moment, pour
les fixer, les perpétuer ? On croit alors les éterniser. Mais
on les tue ! En les rendant reproductibles, on en a fait des
clichés interchangeables, morts.
Ou bien fait-on de l’image un instant d’art ? Alors
elle devient un miroir qui révèle que l’instant passé est
impossible à reproduire. Parce que ce n’était pas une question
d’objet, mais de relation. Ce n’est pas la scène, le paysage,
le portrait qui importe, mais la relation que j’entretiens
avec eux. Moment unique, moment vivant, instant
qui ne peut qu’échapper. Alors, l’image n’est là que pour
renvoyer à un au-delà d’elle-même, en soulignant l’impossibilité
à reproduire l’instant. En montrant ce qui, en elle,
est invisible. Ce qui fait vivre est invisible pour les yeux,
impossible à reproduire. Le souvenir ne comble pas le vide
laissé par la mort d’un être proche. Il le ravive. Il l’évide.
Au matin de Pâques, le tombeau était vide. La résurrection
est une soustraction. La résurrection n’est pas
restauration de nos images abîmées, elle est arrachement
à ces images vers un espace invisible de nous-mêmes. Et
n’allez pas croire que je parle d’une zone évanescente de
notre vie, en dehors des réalités corporelles, en dehors de
la chair ! Allez donc dire à celle ou celui qui est en dépression
que ce n’est pas dans la chair ! Bien au contraire,
je parle de ce qui, au coeur même de l’existence, est un
espace inimaginable, sur lequel il est impossible d’apposer
un visa, sur lequel il est impossible de faire main basse,
mais qui se ressent jusqu’au creux de l’estomac. Un vide
vital. Impossible à se représenter, mais vital. Vital, parce
qu’impossible à représenter.
En effet, Jésus répond à ses interlocuteurs : « Vous
méconnaissez les Écritures et vous méconnaissez Dieu.
Quand on ressuscite on est comme un ange dans le ciel ».
Entendez bien : non pas « un ange dans le ciel », mais
« comme un ange. ». Les anges, ce n’est déjà pas commode
à imaginer ! Mais « comme », c’est tout bonnement impossible.
Parce que ressusciter signifie échapper à toutes
les images qui prétendent enfermer notre identité. Luther
disait : « quand tu dis Jésus-Christ est ressuscité, ajoute
tout de suite : je suis ressuscité ! » La résurrection de Jésus
Christ, c’est sa soustraction à l’image de mort sous laquelle
on croyait l’avoir enfermé. Ce n’est pas la restauration des
images passées. Ma résurrection, c’est tout mon être, mon
corps et mon esprit, arraché aux images sous lesquelles on
l’avait enterré. Soustrait par la grâce d’une simple parole :
Laisse les morts enterrer leurs morts ! Toi, quand tu es en
marche, tu annonces le Royaume de Dieu !
La vie qui nous a été transmise n’est pas destinée à
prolonger nos géniteurs, à cultiver ou à sauver leur image.
Elle n’est pas appelée à une quelconque conformité de
comportements ou de « looks ». Elle est appelée à être libre
de toute image ! La vie qui nous a été donnée n’est pas
appelée à être utile, à obéir à des normes morales ou religieuses,
à satisfaire la volonté divine, mais à être unique
parce qu’aimée d’un amour unique.
Vous entendez toute l’audace d’une telle parole.
C’est tellement inouï. C’est tellement risqué !
Qui d’autre que Jésus-Christ pourrait la dire ? Et
qui peut l’entendre ? Vous, moi, nous : quand souffle le
vent de la grâce. Laisse les morts enterrer leurs morts ! Toi,
quand tu es en marche, tu annonces le Royaume de Dieu !
Et même si ce n’est qu’un instant, nos vies, le monde et le
ciel lui-même en sont changés !
Notes
[2] C’est ce que les hébraïsants appellent le kétib (l’écrit IHVH) et le qéré
(l’appelé, Adonaï). IHVH ne doit pas être prononcé. Jéovah ou Yaweh
sont incorrects et devraient ne pas être utilisés, tant par égard pour les
Juifs que par fidélité biblique. Adonaï signifie : mon Seigneur. Quand
la Bible écrit IHVH, pour lire Adonaï elle met en évidence l’irréductible
différence entre le mot et ce « qui » il désigne, entre l’idée qu’on en a et
l’identité de Dieu.
[3] On distinguait deux sortes de prophètes en Israël, dont l’une était appelée « voyant », rohèh et les autres, navih « prophètisant ». En Samuel 9.9, « celui que l’on appelle aujourd’ hui prophète, on l’appelait alors le voyant ».
[4] Voir Groddeck, le livre du ça, Gallimard, Paris : 1973.