Carême 1992 : Vous serez mes témoinsLa quête de DieuEVANGILE ET RELIGIONS Pasteur Michel LEPLAY — I — "Seigneur, à qui irions-nous... ?" En commençant la première des six conférences du Carême protestant qui m’a été confié cette année, je voudrais vous proposer quelques remarques préliminaires, pour clarifier à notre profit les enjeux et les conditions de cette entreprise. Nous allons, en effet, cheminer ensemble, si du moins vous pouvez nous écouter régulièrement, et nous attendrons en retour et très volontiers vos remarques et vos questions. Je veux, en effet, commencer par vous dire combien les responsables des conférences de l’année dernière ont été intéressés par vos nombreuses réponses au questionnaire envoyé à toutes celles et tous ceux qui avaient commandé le texte imprimé ou l’émission enregistrée des conférences du Carême protestant en 1991. L’analyse de vos réponses m’a d’autant plus intéressé qu’elle laisse apparaître bien des points communs entre les auditeurs que vous êtes et les lecteurs de l’hebdomadaire protestant Réforme : vous nous écoutez, ou vous nous lisez, dans la France entière, et plus en ville que dans les campagnes, vous êtes à 75 % protestants, ayant plutôt dépassé cinquante ans, ce qui n’empêche des auditeurs catholiques de nous écrire avec gratitude et des jeunes de s’exprimer avec franchise. Enfin, les deux recommandations qui nous sont faites, et que je prends à mon compte, sont tout à fait importantes et nous vous en remercions : il est d’abord demandé que nous soyons aussi simples que possible, puisque nombre d’auditeurs ne sont ni théologiens ni littéraires... Il est ensuite attendu que l’on parle de Dieu, ce qui n’est pas si fréquent dans les médias actuels. Nous voici donc bien introduits auprès de chacune et de chacun d’entre vous, et je sais ce qui me reste à faire. Je vous propose donc de tenir le pari suivant, un double pari, plutôt. Le premier, celui d’être simple, même pour parler de choses difficiles, ce qui ne signifie pas simplifier, mais au moins être clair et moins chercher l’éclair ou l’éclat que la flamme d’une chandelle ou la chaleur d’un lumignon. Néanmoins, ceux qui voudront se procurer le texte écrit de mes conférences trouveront en notes des indications et des explications qui ne seront pas formulées oralement. Le second pari concerne une hésitation significative sur le titre même de ces conférences ou prédications de Carême : car la conférence parle de religion, à la manière des historiens et des sociologues, en observateurs, et je serai bien obligé de vous parler ainsi des religions, ne serait-ce que pour essayer de décrire celles que nous ne pratiquons pas. Tandis que la prédication fait état d’une conviction, appelle à une communion, enfin, pour nous chrétiens, est annonce de l’Evangile. La conférence sur les religions parle des hommes devant leurs dieux, mais la prédication de l’Evangile parle de Dieu aux hommes. Et je n’ai pas le choix, il me faut tenir les deux langages, celui de la responsabilité respectueuse de mon prochain et de sa religion, ou non-religion, et celui de la conviction confessante de ma foi au Dieu de Jésus-Christ, selon l’Evangile. Tout cela n’est donc, en définitive, ni simple ni facile, et pourtant j’ai la joyeuse assurance que nous ferons route ensemble, si vous le voulez bien et si j’y parviens, pour une conversation en chemin, différente des conférences magistrales pour grandes écoles, et des prédications pastorales de temple ou de cathédrale. La radiodiffusion ne permet-elle pas d’être "à tu et à toi" avec chaque auditeur, parce que la parole émise arrive dans ta maison, ta chambre d’hôpital, ta cellule de prison, la cage roulante et douce de ton automobile, enfin le petit coin d’univers d’où tu m’entends, par hasard ou par habitude, par intérêt ou amitié ? Donc, je te salue. Voici mon projet pour ce Carême, le nôtre. -o- Toutes les religions ont leur source dans cette quête de Dieu telle que la formule, par exemple, un ancien Psaume biblique : "O Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche" (Psaume 63/2). Car la quête de Dieu, la recherche d’un Dieu constitue non seulement l’éternel tourment des hommes, mais aussi leur caractéristique humaine permanente et dominante : l’homme, un animal qui cherche Dieu, ou : l’homme, cet animal que Dieu a fait à son image. Quête de Dieu, dont la foi d’Israël témoigne pour nous depuis longtemps, depuis la Genèse et la question essentielle sur notre existence, quand le paradis est perdu et que Dieu demande à Adam : "Où es-tu ?" (1)et, dans la suite des temps, tous les Adam après lui diront : "O Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche". Dans la tradition de la foi chrétienne, la question reste permanente, celle de l’apôtre Pierre : "Seigneur, à quel autre irions-nous qu’à toi ?", celle de saint Augustin : "Jamais vous ne vous éloignez, et pourtant quel effort pour revenir à vous" (2), celle de Martin Luther : "Je ne puis venir vers toi. C’est pourquoi, ô mon Dieu, lève-toi et viens à moi, et viens me chercher pour me conduire auprès de toi" (3). Mais maintenant une question se pose concernant la quête de Dieu, la foi religieuse dans le monde moderne, la déchristianisation de nos sociétés occidentales, une question qui se pose parce qu’on nous avait annoncé tout au long de ce siècle la fin de la religion, et même la mort de Dieu. Vous connaissez le jeu de mots douteux mais salutaire : "Dieu est peut-être mort, mais il bouge encore", ou avec un humour plus fin : "La nouvelle était pour le moins prématurée". Soyons sérieux ! Quête permanente de Dieu, ou fin attendue de la religion ? Qu’en est-il ? On discute beaucoup sur ce point, les uns convaincus que le "désenchantement du monde" et la sécularisation de la société sont irréversibles : on se passera de Dieu, l’homme étant la mesure de tout, comme l’ont tenté plusieurs écoles philosophiques depuis longtemps. Mais d’autres pensent que ce fut une éclipse, longue et tragique et que "la revanche de Dieu", comme dit un titre célèbre, prépare la confirmation de la prédiction, que je ne puis pas ne pas citer au moins une fois, d’André Malraux, vous me voyez venir : "Le prochain siècle sera religieux, ou il ne sera pas". Nous y sommes ! On assiste, en effet, depuis quelques années à un renouveau de l’intérêt porté à la religion, je dirai même aux questions spirituelles. Il y a certes les manifestations excessives et dangereuses des divers intégrismes religieux. Et c’est par là que je commencerai, puisque la thèse est connue, d’autant plus que ces excès sont liés à la situation politique dont nous parlent les médias : en Irlande et en Yougoslavie, par exemple, où les confessions chrétiennes catholique, orthodoxe et protestante ont une responsabilité certaine, sinon dans l’éclatement des conflits, du moins dans la peine que l’on a à essayer de les résoudre. C’est aussi un lieu commun de rappeler combien les tendances diverses de l’islam posent des problèmes et causent des souffrances, naguère en Iran, entre Kurdes et chiites, ou en Algérie avec les intégristes et les libéraux, je simplifie et j’en passe. Ces phénomènes excessifs, dont une bonne quoique rapide description a été faite par Gilles Keppel (4), n’épargnent pas un certain judaïsme dans ses fractions respectivement fondamentalistes et bibliques ou libérales et socialistes, ce qui correspond aussi à une attitude religieuse. Néanmoins, on se souviendra que ces tensions, ces oppositions, ces conflits ne sont pas absolument nouveaux, et même les plus douces religions asiatiques ont entretenu, elles aussi, des rapports conflictuels de menace et de violence, comme la persécution impitoyable, dans la Chine du IX° siècle, des bouddhistes par les adeptes du taoïsme (5). Retour, ou permanence, des intégrismes et de leur fanatisme, et en même temps recherche d’une spiritualité, d’un sens à la vie, d’un remède à nos misères, avec tout ce que la quête de Dieu peut aussi recouvrir de douteux et de pathologique. Mais là n’est pas notre problème. Nous observons, en effet, deux phénomènes contradictoires et finalement semblables, comme je vais essayer de m’en expliquer. D’une part, dans les pays marqués pendant plus de soixante-dix ans par le marxisme-léninisme, par le communisme athée, policier et bureaucratique, et qui s’était fixé l’objectif d’éradiquer toute pratique et tout sentiment religieux, dans ces pays, la foi est restée et elle renaît. Il y a eu les persécutions, brimades, déportations, emprisonnements, exécutions, destructions, il y a eu interdiction de catéchisme, de liturgie, de prédication, à plus forte raison de témoignage et de rayonnement. Des croyants ont résisté, d’autres certes ont négocié, mais nous savons maintenant que, dans les années quatre-vingt, les mouvements de résistance spirituelle prirent de l’ampleur et que les libertés retrouvées voici peu doivent une part de leur énergie à celle des chrétiens et des chrétiennes, armés de leurs prières et de leurs bougies. Il y a donc un athéisme théorique, mis en pratique, qui n’a pas marché, et qui a été d’autant plus rejeté qu’il s’imposait. Mais, à l’inverse, dans les démocraties occidentales, dites "libérales et sociales", et non plus socialistes et communistes, dans nos pays de cette Europe qu’on appelle "démocratique", la liberté et précisément le libéralisme dans la production et la répartition, la libéralisation des mœurs et des coutumes ont entraîné à leur tour une sorte d’athéisme pratique. On sait combien les églises et les temples sont souvent peu garnis, les prêtres ou pasteurs en nombre insuffisant, la pratique dominicale et la générosité financière des fidèles très en baisse, la recherche devenue individuelle d’une morale pour décider des comportements personnels, le rejet des commandements venant de la hiérarchie, en un mot la disparition des formes traditionnelles de la religion. Finalement, entre un régime oppressif à l’Est, qui donnait l’ordre à ses citoyens de n’être plus religieux, et la société permissive de l’Ouest, qui donnait envie à ses consommateurs de n’être plus pratiquants, reste une Europe déstabilisée, insatisfaite. D’où ce retour en force de la religion, tel qu’on peut l’observer chez nous sous diverses manifestations : "Vers un nouveau christianisme ?", demandent des gens très sérieux (6), succès des mouvements du "New Age", comme son nom l’indique, avec des éléments de mystique ésotérique, c’est-à-dire réservée à des adeptes qualifiés par une initiation secrète (7). Non loin de ces nouvelles religions, on trouvera parfois chez nos contemporains et concitoyens un intérêt réel pour les religions plus lointaines jusqu’à ce jour : bouddhisme, hindouisme, jaïnisme et autres spiritualités d’Asie. Nous essaierons de les approcher et de les comprendre aussi au cours de nos entretiens. Mais ce renouveau de l’intérêt pour la religion est-il le signe d’un vrai réveil spirituel ? On peut se le demander ; après tout, on consommerait aujourd’hui en Occident du couscous comme du yoga, du tantrisme comme de la paella, tout ce qui est étrange, étranger, nous change de nos nourritures habituelles et familières, devenues, semble-t-il, pour les ventres pleins, trop abondantes pour rester appréciables... Le retour du religieux est-il une fantaisie de plus ? Pour répondre de manière positive et encourageante à ces questions, je ferai deux brèves remarques. D’abord, et surtout depuis quelques années, le renouveau religieux atteint aussi en Occident les Eglises historiques, catholiques ou protestantes, dont le témoignage compte dans la vie de la cité, dont les services rendus sont parfois prophétiques, les déclarations très souvent pertinentes, même quand elles témoignent d’appréciations diverses entre nous. On assiste à une reprise des activités de jeunesse, une remontée des vocations aux divers ministères, une vitalité enfin se manifeste, y compris dans le protestantisme français, après l’Assemblée de Lille sur le thème de la grâce sans frontières : dire et vivre la grâce de Dieu, une protestation nécessaire. Ensuite, le dialogue entre les Eglises continue, malgré certains ralentissements dus à des prudences hiérarchiques ou à des débordements intempestifs, et si les uns resserrent les rangs tandis que d’autres sèment à tout vent, le mouvement œcuménique a permis des avancées et des accords sur lesquels nous ne reviendrons pas : les conseils d’Eglises, entreprises communes et recherches théologiques vont bon train. Le protestantisme ne va pas mourir, l’espérance œcuménique ne s’est pas évanouie, la religion reprend du vif. Mais qu’est-ce à dire ? Nous voici à pied d’œuvre pour entrer dans le sujet même de ces conférences sur l’Evangile et les religions ; le dialogue entre les religions est à l’ordre du jour, à l’aube du prochain siècle qui est arrivé. -o- Depuis le début du XX° siècle, la chrétienté est entrée dans une entreprise de réconciliation interne, de découverte des Eglises les unes par les autres, de remembrement, approximatif et fragile encore, entre ces communautés qui empruntent au "corps du Christ" la plus belle image qui soit pour définir la vraie communion en Dieu. Et ce qu’on appelle le mouvement œcuménique, tout au long de ces décennies qui vont de la Conférence missionnaire d’Edimbourg en 1910 à l’Assemblée œcuménique de Canberra en 1991, en passant par le Concile catholique du Vatican en 1965, autant d’étapes qui ont marqué notre marche en avant. Et voilà que nous sommes encore bien loin de l’unité réalisée, pour nous trouver devant une nouvelle étape : celle du dialogue avec les autres religions. Vous me direz qu’il a toujours existé, et c’est vrai, par missionnaires ou voyageurs ou militaires et commerçants interposés. Mais ce furent des contacts souvent rapides, presque toujours condescendants de notre part, et parfois destructeurs : nous n’avons guère respecté les rites chinois ou les pratiques indiennes, nous avons fait porter des bas de laine aux infirmières tropicales et enseigné aux rois africains les fastes de Versailles. Passons. Sans oublier l’évangélisation sous ses meilleures formes, l’éducation et la médicalisation, leurs pionniers, leurs martyrs parfois. Mais maintenant, dans le village planétaire qui est le nôtre, les voyages et les contacts, la circulation des livres et des idées, leur vulgarisation nous ont rapprochés de religions parfois lointaines, sinon inconnues, en tout cas caricaturées. Ceci pour les grandes religions asiatiques et africaines en premier lieu. Plus près de nous, tout près de nous, sont parmi nous maintenant, et nous commencerons par ces proches cohéritiers d’Abraham, les juifs et les musulmans. Je dis tout de suite qu’à mon sens les relations des chrétiens avec les juifs sont très particulières, uniques, on doit en parler de manière spécifique. Le peuple d’Israël existait avant nous. Nous avons un même Seigneur, mais c’est nous qui sommes les héritiers. Faut-il ajouter, nous en reparlerons bien sûr, qu’il y a des comptes à régler entre nous, à supposer qu’on puisse jamais rendre compte de la grande tribulation d’Israël, dont la Shoah a été le comble. Avec l’islam, nos contentieux sont réels, différents, sur fond de croisades impardonnables, d’erreurs coloniales regrettables, de méconnaissance mutuelle incompréhensible. Les temps et l’évolution nous ont permis de nous connaître et, si les Européens qui avaient habité les pays musulmans ont parfois dû les quitter, nous ne souhaitons pas que les musulmans qui sont chez nous doivent partir. Nous pensons à eux, alors que, cette année, le carême et le ramadan commencent en même temps. Et vous aurez vos mosquées comme nous avons eu nos temples, et comme nos frères juifs ont eu leurs synagogues. Dira-t-on, si l’on a l’esprit chagrin, que nous sommes condamnés à vivre ensemble ? Disons plutôt que nous avons la chance, et nos enfants plus encore, de recevoir maintenant le défi et la promesse du dialogue entre les grandes religions. Le pape Jean-Paul II a bien vu l’avenir quand il a convoqué, en octobre 1986 à Assise, les représentants de douze grandes religions pour leur demander de contribuer à la paix, ensemble pour prier, faute de pouvoir prier ensemble. Mais il y a déjà un siècle que s’était réuni à Chicago un parlement des religions, et le Conseil œcuménique des Eglises n’a pas manqué depuis ses débuts de rechercher les modalités d’un dialogue en vérité avec d’autres confessions religieuses, non chrétiennes. Deux citations, à l’appui de notre propos, puisque le pasteur André Gounelle pense qu’il "y a bien des chances pour que les religions fassent travailler autant la théologie chrétienne de demain que l’athéisme a fait travailler celles d’hier" (8). Et c’est le catholique Hans Kung qui écrit de son côté : "Si nous comparons le dialogue interreligieux (entre les religions qui se partagent le monde) au dialogue interconfessionnel (entre les diverses confessions chrétiennes), il nous faut bien reconnaître que notre dialogue interreligieux en est aujourd’hui à peu près là où en était le dialogue interconfessionnel il y a cinquante ans" (9). Nous aurons l’occasion, chemin faisant, d’évaluer à nouveaux frais ce que peuvent être les relations des chrétiens avec d’autres croyants. Prosélytisme, évangélisation, dialogue, nous avons tout vu, et tout fait, parfois le pire, mais tout est possible, si possible le meilleur. Notre réflexion sur l’Evangile et les religions voudrait y contribuer. Bien sûr, le nombre des fidèles, la quantité d’adeptes, les statistiques des religions dans le monde ne constituent pas un élément déterminant, sauf en cas de conflit — on l’a vu récemment entre musulmans et hindouistes — mais des colonnes de chiffres peuvent ne pas être des colonnes de soldats, et l’on peut être compté comme militant et ne pas se comporter en militaire d’une religion. Les troupes, si l’on peut encore dire, sont ainsi réparties, mais de manière approximative. Car les grands nombres sont difficiles à vérifier, et la ferveur religieuse encore moins facile à mesurer. On s’accorde néanmoins aujourd’hui pour dénombrer, sur près de cinq milliards de vivants, un bon milliard et demi de chrétiens, neuf cents millions de musulmans, sept cents millions d’hindouistes et trois cents millions de bouddhistes, trois cents millions encore de confucianistes, cinquante millions de shintoïstes et taoïstes, vingt millions seulement de juifs et, pour n’oublier personne dans cette comptabilité vraiment approximative, environ deux cents millions d’animistes et six cents millions d’agnostiques et athées ! Ces chiffres ont été obtenus par la comparaison entre différentes sources contemporaines d’estimation, bien entendu toujours sujettes à révision. Toujours est-il que, pour simplifier la mémoire brusquement envahie par tant de millions et de milliards, on pourrait encore simplifier en indiquant qu’un homme sur trois est chrétien et qu’il y a à peu près autant de croyants musulmans que de catholiques romains ; un sur quatre de ces derniers étant hispanophone. Pour vous donner quelques repères, sans intérêt définitif... Mais il faut pour ce soir conclure. Ou plutôt vous annoncer le plan de ces conférences et discerner l’esprit qui nous anime. Avec le mystère d’Israël, nous évaluerons la reconnaissance par les chrétiens de l’élection de ce peuple parmi les peuples ; une longue et défaillante tradition d’antisémitisme, à tout le moins d’antijudaïsme, appelle de la part des Eglises et de leur catéchismes une véritable conversion. Avec la présence de l’islam, nous toucherons un problème actuel et qui déchaîne de nouvelles passions : mais, là aussi, nous avons à nous débarrasser d’idées toutes faites et de slogans simplificateurs. Quant aux autres religions, prises globalement malgré leur réelle diversité, plus lointaines elles sont moins connues : elles fascinent néanmoins certains de nos contemporains, fatigués des vieilles religions occidentales. Nous tenterons de faire quelques pas vers ces terres lointaines et de prêter une oreille attentive à l’expérience des hindouistes, des bouddhistes et de quelques autres. L’animisme m’est encore plus étranger ; quant aux agnostiques et plus encore aux athées, sans pratiquer systématiquement leur doute ou leur négation, je vous avoue que leurs questions et leur solitude sont aussi celles de tout chrétien honnête devant Dieu, et devant Dieu "sans Dieu dans le monde", comme disait Dietrich Bonhoeffer (10). Nous avons appris, par notre dialogue œcuménique avec des chrétiens, non protestants, par exemple, que l’important est de se rencontrer, de se connaître, de s’engager ensemble, de prier les uns pour les autres. Les connaissances livresques et les aperçus touristiques n’y suffisent pas. Il s’agit donc d’une conversion, là encore, à l’autre, si différent, qui me met en cause, qui m’édifie peut-être, me scandalise parfois, m’étonne toujours. Vous relirez dans les évangiles ces admirables et normatives rencontres de Jésus-Christ avec des non juifs de son temps : le cœur aimant fait tout en cette affaire et qui cherche Dieu parce que Dieu le cherche, n’échappe pas à l’autre et conjointe question : de qui es-tu le prochain, au nom de l’amour sans frontières de Dieu, Dieu pour tous par le Christ en qui "il n’y a plus ni juifs ni Grecs" ? A quel autre irions-nous ? Car les Béatitudes de Jésus sont l’alphabet du dialogue entre les hommes.
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