La solitude et l’oubli
à€š« Dressons trois tentes à€š ».
-
un instant de musique [01] -
Solitudes.
Le pluriel conviendrait mieux à ce mot tant il a de visages
divers. Derrière chacun c’est une expérience
singulière, souvent incommunicable, car la solitude isole,
elle sépare des autres et du monde.
C’est aussi une réalité
complexe et contrastée, parfois bénéfique,
parfois tragique.
Ainsi la solitude peut être habitée,
peuplée d’engagements, de rêves et de projets. Elle est
alors un moment nécessaire de ressourcement et de
construction.
Mais la solitude c’est également la
conséquence dramatique des ruptures de l’existence, une
spirale douloureuse de l’enfermement pour celle ou celui que la vie a
blessé.
Et dans ces chapitres 8 et 9 de l’évangile
de Marc nous découvrons ces deux visages de la solitude.
Deux
visages qui nous parlent de nos propres solitudes.
1.
Les traits du premier visage sont dessinés dans ce passage par
ces moments où Jésus décide de s’en aller avec
ses disciples à l’écart des foules et du monde. En
effet on le voit constamment entouré, assailli parfois, par de
multiples personnages qui vont et viennent vers lui « Les
grandes foules qui ont faim, les pharisiens qui lui tendent un piège,
l’aveugle qu’on lui amène pour le guérir, les foules
encore qui se pressent autour de l’enfant possédé ».
Alors à plusieurs reprises il nous est dit que Jésus
s’en va avec ses disciples. Par deux fois il se retrouve seul avec
eux dans la maison, un autre jour il s’éloigne en barque pour
échapper aux foules, ou encore il monte avec trois d’entre eux
sur une haute montagne.
Tout
se passe comme si Jésus avait besoin de ces temps de recul qui
rythment aussi nos vies afin qu’elles ne s’épuisent pas.
Cette
solitude là, c’est la solitude bonne qui nous replace devant
Dieu. C’est le temps du face-à-face avec Celui qui donne et
pardonne, qui nous confère notre identité de fils et de
fille et qui dans cette solitude même nous dit que désormais
nous ne sommes plus seuls. Plus jamais.
« Solitude qui se
confie » pour reprendre les mots du poète Réf
[1], solitude qui donne confiance, solitude où
Dieu fait confiance. Solitude du dialogue intime et personnel avec
Lui.
Solitude
de la prière qui en est un aspect décisif et dont Jésus
rappelle ici l’importance à ses disciples. Elle est en effet
ce moment essentiel où cessant de parler de Dieu nous
l’écoutons et lui parlons et le reconnaissons comme le sujet
vivant de notre histoire et de nos vies. Elle est ce recueillement
intérieur qui rassemble ma vie dispersée et la ramène
en son centre.
Cette
solitude, c’est encore la solitude disponible du témoin appelé
à partager avec les autres ce qu’il a reçu, à
dire dans des mots et des gestes imparfaits ce que Dieu a fait pour
lui. Et sa parole ne peut être que solitaire, car personne ne
peut rendre compte à sa place de sa rencontre avec Dieu.
C’est
enfin la solitude confiante de celui qui a choisi de suivre le Christ
de manière libre et responsable, en dehors des modes
idéologiques, de l’opinion publique, des pressions sociales et
des conditionnements collectifs de tous ordres.
C’est
dire que même en dehors de la foi, la solitude n’est pas
forcément un moment négatif de nos vies, mais elle en
est parfois un moment indispensable et précieux. Pour se
donner à un engagement, pour y persévérer, il
faut se ménager des temps et des lieux de ressourcement, de
recréation. Des moments pour revenir sur ce que l’on a vécu,
le méditer et envisager l’avenir. Nous avons besoin de cette
solitude où l’on prend de la distance ou de la hauteur pour
discerner ce qui nous est demandé de faire ou d’entreprendre.
Une solitude nécessaire à toute existence, une solitude
précieuse qui est comme une respiration. Les artistes le
savent bien, la solitude est indispensable à toute création.
Le poète Rainer Maria Rilke a écrit « Une seule
chose est nécessaire, la solitude, la grande solitude
intérieure. Aller en soi-même et ne rencontrer pendant
des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir. Etre
seul comme un enfant est seul ».
Cette solitude là
est en fait une victoire sur l’isolement, le repli sur soi ou la
fusion avec le milieu ambiant. C’est le moment indispensable du
face-à-face avec soi-même, ce moment où le moi se
pose comme moi et se met à exister devant les autres. Et plus
on est exposé aux autres, plus on a besoin de se retrouver
seul.
Loin de nous éloigner des autres, la solitude fonde
au contraire notre capacité à communiquer et même
à entrer en communion avec eux. Par certains côtés
elle conditionne notre relation avec autrui. En effet « on
peut habiter ses solitudes quand on commence a avoir moins peur de
soi. Le signe en sera la découverte que les autres habitent
notre solitude plus que nous-mêmes » Réf
[2]. Et qu’en tout cas un Autre est venu l’habiter en la
partageant jusqu’à la mort.
-
un instant de musique [02] -
2.
Et puis il y a l’autre visage de la solitude. Visage douloureux dont
les traits sont cette fois inscrits dans la solitude de Jésus
lui-même.
Solitude de Jésus en butte ici à
l’hostilité des scribes et des pharisiens qui veulent « lui
tendre un piège ». Solitude de Jésus qui
garde seul son secret puisque ses proches sont incapables de le
porter avec lui. Solitude de Jésus qui annonce sa mort et
avance vers elle, incompris de ses disciples et bientôt
abandonné par tous.
En
effet dans l’évangile de Marc il y a comme une dramatisation
de la solitude de Jésus dans sa passion. Peu à peu un
vide va se creuser autour de lui, une absence s’installer
progressivement. Lors du dernier repas tous les disciples sont encore
là. A Gethsémané ils ne sont plus que trois :
Pierre, Jacques et Jean. Ceux-là même qui dans notre
passage vont à l’écart avec Jésus sur une haute
montagne. Enfin à son procès, il n’en reste qu’un seul
qui le renie. Et à la croix tous ont disparu. Seules quelques
femmes regardent à distance.
Ici,
sur le chemin où il avance, Jésus, déjà,
est seul, et fi va l’être de plus en plus. Incompris,
abandonné, insulté, meurtri, il assume jusqu’au bout
notre propre solitude, toutes nos solitudes. Dans la vie et la mort
de Jésus, Dieu est, pour toujours, venu les partager.
Et
cette solitude prend aujourd’hui des formes spécifiques et
souvent tragiques.
Elle
est d’abord accentuée par l’effacement de Dieu de notre
horizon, par l’effondrement des utopies, par l’éclatement des
morales et des valeurs qui cimentaient la société. On
ne parvient plus à s’intégrer dans une forme de vivre
ensemble qui donnerait sens à ce que chacun vit et qui
atténuerait le sentiment angoissant d’incertitude.
Tout
cela est encore aggravé par l’individualisme croissant, sous
toutes ses formes, la crise du lien social, l’absence de lieux où
le reconstruire. Et plus une société accorde
d’importance et d’indépendance aux individus, plus elle
devient épuisante pour eux et plus la solitude se généralise
et se dramatise.
Il
est devenu très difficile de se situer dans un monde de plus
en plus complexe, où tout bouge et évolue très
vite. Les repères communs disparaissent, la mémoire
défaille, le sentiment d’appartenance s’effondre, le présent
et l’avenir deviennent indéchiffrables.
Chacun
est seul, renvoyé à lui-même, dans une quête
insatiable de compréhension et de relation devenues
problématiques.
On
peut en discerner des symptômes. Par exemple dans cette
fascination pathétique qui saisit nos contemporains pour les
instruments de communication et d’information. Ils sont devenus
parfois les prothèses dérisoires d’un vide relationnel
et d’une convivialité perdue.
Ainsi
l’homme et la femme assignés à résidence devant
une télévision qui donne de moins en moins à
penser mais qui meuble l’ennui, habille un peu la solitude et donne
l’illusion d’une proximité.
Ou
encore l’anonyme rivé à son téléphone
portable dans les lieux publics, cherchant dans d’insignifiantes
conversations privées, à se rassurer dans son identité
d’individu branché.
Et
puis bien sûr Internet, outil certes passionnant mais aussi
univers virtuel vers lequel chacun s’évade en solitaire se
dispensant de voir les prochains bien réels qui crient à
notre porte.
Ce
n’est pas comme d’aucuns le prétendent, ce qu’Hannah Arendt
appelait « la disposition à partager le monde avec
d’autres hommes » Réf
[3]. N’est-ce pas plutôt, pour reprendre une
expression récente, « la mondialisation du moi (...),
une dilatation de ma subjectivité » ? Réf
[4]
Mais
au-delà de ces symptômes il y a les effets réels.
C’est-à-dire les drames, les souffrances, les solitudes d’une
société fragmentée qui enferme chacun dans son
particularisme, sa vieillesse, son handicap, sa pauvreté, son
échec.
Le
nombre de chômeurs et d’exclus ne cessent de progresser. Le
nombre de ceux qui dans les rues tendent la main n’a cessé de
croître. La foule ne cesse de grandir de ceux qui se cachent,
se taisent, se sentent sans défense, se considèrent
atteints dans leur dignité.
Les
problèmes matériels se multiplient. Mais les détresses
deviennent aussi qualitatives. L’isolement et la solitude gagnent
chaque jour et prennent de plus en plus la forme de l’exclusion. Trop
de gens sont aujourd’hui en souffrance, dans un monde qui n’est plus
le leur.
Alors
le courage d’être seul que Dieu nous donne dans la foi, ne
saurait nous faire oublier le désespoir de vivre seul dans la
nuit.
C’est
pourtant bien ce qui se passe quand la foi elle- même est vécue
comme une évasion.
Quand
pour protéger nos solitudes heureuses nous refusons de voir
les solitudes dramatiques qui minent et détruisent notre
société, toutes ces blessures qui brisent la relation
aux autres.
Quand,
parfois, comme les disciples, nous préférons rester à
l’écart des souffrances de l’histoire et détournons nos
yeux des visages du malheur.
-
un instant de musique [03] -
___
En
écho à cette musique de Beethoven, emmuré dans
la solitude de sa surdité, il y a nos propres surdités,
nos silences, nos oublis et nos aveuglements qui maintiennent ceux
qui souffrent dans leur isolement.
Telle
est dans ce passage l’attitude de Pierre.
Avec
deux autres disciples, il a accompagné Jésus « à
l’écart sur une haute montagne ». Et là, il nous
est dit qu’il a eu la vision d’un monde transfiguré,
transformé, différent. L’espérance de Pierre ici
se réalise, il voit se dessiner une autre vie possible. Ce
royaume que tous attendent et que Jésus annonce, il est là,
sous ses yeux.
Et
sa réaction immédiate, c’est d’y demeurer, c’est de s’y
installer. « Il est bon que nous soyons ici »
dit-il à Jésus « Dressons trois tentes, une
pour toi, une pour Moïse, , une pour Elie ». Ces mots
traduisent le bonheur d’être là, en ce moment
inoubliable, et le désir de le faire durer.
Et
ce faisant ils révèlent ce qui est aussi parfois pour
les chrétiens une tentation : faire de la foi un refuge, une
évasion hors de l’histoire douloureuse des hommes, un
« ailleurs » qui ne prendrait pas à bras le corps ce
monde déboussolé et cette humanité souffrante,
avec ses peurs, ses attentes, ses questions, ses blessures.
Nous
aimerions bien nous aussi quelquefois, nous mettre en « congé
de l’histoire », faire de la foi et des Eglises des lieux clos
mais protégés, des montagnes de solitudes heureuses où
les chrétiens sont bien ensemble, des sommets sur lesquels on
pourrait enfin « installer l’espérance ».
La
suite pourtant va aussitôt nous montrer que c’est au coeur du
monde, tel qu’il est, que les chrétiens ont à témoigner
du salut qui vient de Dieu. Ce n’est pas un hasard en effet si l’on
trouve, juste après ce récit de la Transfiguration,
celui de l’enfant possédé.
Après
la vision fulgurante sur la montagne, d’une humanité
transformée, voici le monde de la plaine avec son cortège
de malheurs, d’épreuve et d’impuissance.
Après
la grande promesse de renouvellement du monde, surgit dans sa
brutalité le scandale du mal : la souffrance d’un enfant
possédé et la détresse d’un père
désespéré.
Après
l’espérance d’un monde transfiguré, surgit la réalité
douloureuse d’une humanité encore défigurée.
Ainsi
le tragique de la condition humaine, le tragique du mal et de la
souffrance ne sont pas à côté de la foi mais au
coeur de la foi. Tel est le sens de l’incarnation et de la croix que
Jésus annonce ici, à plusieurs reprises, à ses
disciples.
En
Christ Dieu est descendu dans les profondeurs de la misère et
de la détresse humaine, assumant jusqu’à la mort nos
souffrances et nos solitudes. On repense aux mots de Luther : « La
foi chrétienne n’a pas son point de départ sur les
sommets, comme toutes les autres religions, mais tout en bas »
Réf [5].
C’est
ce que n’avait pas compris Pierre qui voulait « dresser trois
tentes » pour rester sur la montagne.
C’est pourtant dans la
plaine qu’il est attendu avec les autres disciples, au coeur des
réalités douloureuses de l’histoire pour les comprendre
et les guérir.
___
Et
nous pouvons d’autant moins nous dérober à cette tâche
que grâce aux moyens modernes d’information, jamais nous
n’avons eu une connaissance aussi complète, une conscience
aussi vive des drames qui déchirent notre terre.
Certes
il faut critiquer la mise en scène médiatique de la
souffrance qui nous envahit chaque jour, cette banalisation de la
violence qui nous rend tolérants à l’intolérable,
ces flots d’images sans message qui souvent nous laissent accablés,
culpabilisés et impuissants.
Mais
en même temps, nous avons là un formidable outil qui
nous révèle ce que parfois nous ne voulons pas
connaître, qui nous fait descendre de nos montagnes, qui nous
arrache à nos replis hexagonaux en nous faisant proches et
prochains des hommes et des femmes les plus lointains.
Désormais
nous ne pouvons plus ignorer le « village planétaire ».
Nous n’avons plus d’excuses pour justifier nos silences et nos
abandons. Nous ne pouvons plus dire « nous n’avions pas vu venir
», « nous ne savions pas ».
Nous
ne savions pas la situation du Zaïre, de l’Algérie, et de
tant d’autres lieux déchirés par la haine, frappés
par la violence absurde, décimés par la famine. Nous ne
savions pas le Sud de la planète qui s’enfonce dans la
désespérance, l’immense cohorte des réfugiés
et des populations déplacées.
Ou
encore, tout près de nous, à nos portes, en France,
nous ne savions pas que des hommes et des femmes meurent de faim, de
froid ou de désespoir. Nous ne savions pas les formes
concrètes et quotidiennes de l’exclusion, le racisme et la
xénophobie banalisés et proclamés.
Nous
ne savions pas les drames de la drogue et la tragédie du Sida,
tous les symptômes du mal de vivre de nos sociétés
modernes, la peur et la violence des jeunes sans horizon, nos
enfants, qui disent, qui crient parfois, leur désir d’être
écoutés.
Et
puis encore tous les autres, « tous ces autres dit Paul
Ricoeur, que je ne verrai jamais, mais dont l’appel à la
justice m’empêche de dormir ».
Désormais
nous savons et nous ne pouvons pas ne pas voir les foules affamées
qui se pressent vers Jésus, la misère de l’aveugle
qu’on le supplie de guérir. Nous ne pouvons pas ne pas
entendre le cri du père de l’enfant possédé, le
cri aujourd’hui de tant de pères et de mères désespérés
: « Si tu peux quelque chose, viens à notre secours,
par pitié pour nous ».
Et
du coup il faut bien nous interroger. Qu’est-ce que ces cris, ces
images, ces visages, ces informations changent dans le message et
l’action des Eglises ?
Qu’est-ce
que cela change dans notre vie personnelle et communautaire,
qu’est-ce que cela change dans nos engagements de disciples du Christ
?
Avons-nous
d’autre choix que le devoir de vigilance ou le délit
d’indifférence ?
-
un instant de musique [04] -
___
Et
ce devoir de vigilance qui ravive la mémoire, qui lutte contre
l’oubli, s’exerce pour les disciples du Christ dans trois directions.
*
D’abord il faut nous laisser déloger de tous les systèmes
théologiques qui prétendraient évacuer ou pire
encore expliquer la réalité du mal. Ce ne serait encore
qu’une manière d’échapper à l’histoire
douloureuse que Jésus est venu partager jusqu’à la
croix.
La
souffrance et le malheur ne sont pas à côté ou en
dehors de la foi, mais ils sont une question, un défi, une
épreuve, une blessure que la foi porte en elle.
On
pense aux mots d’Elie Wiesel « Pendant la tourmente il n’y a
pas eu désertion de la foi. Il y a eu protestation contre le
silence de Dieu (...) Je suis parfois pour Dieu, souvent contre Dieu,
jamais sans Lui » Réf
[6].
La
foi doit accepter de vivre devant Dieu cet affrontement à
l’énigme du mal, au non-sens de la souffrance qui fait monter
au coeur des questions sans réponses sur les hommes et sur
Dieu.
Le
grand théologien Karl Barth disait que « seule une
théologie « brisée », (...)
peut s’engager dans la voie redoutable de penser le mal »
Réf [7]. Penser le
mal, non pour prétendre tout expliquer mais pour tenter au
moins de mieux lui résister.
*
Et pour cela la Bible ouvre une 2ème direction, en montrant
que la foi non seulement porte en elle cette question irrésolue,
mais encore qu’elle s’exprime fortement dans la parole et la prière
du croyant. Que l’on pense à Jérémie, aux
Psaumes, à Job. Ou ici au père de l’enfant possédé
: « Si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par
pitié pour nous » (9/22). Le croyant crie vers Dieu sa
supplication et sa révolte.
Et
cette plainte qui monte de la nuit du monde doit être au centre
de notre piété et de notre culte. Ils ne sont pas des
tentes plantées sur des montagnes à l’écart du
monde pour éviter le mal, mais des moments ou l’histoire vient
à la rencontre de Dieu. Ce sont des mots et des gestes de
protestation contre l’oubli, une intercession persévérante
pour confier à Dieu les drames de la terre.
Car
une piété, une prière, un culte qui
éloigneraient des réalités de ce monde,
célébreraient un autre Dieu que celui de Jésus-Christ
qui s’est lié pour toujours à nos bonheurs et à
nos malheurs.
*
D’autant que le culte et la foi ne sauraient se limiter aux moments
cultuels et liturgiques vécus dans une communauté, mais
le culte chrétien c’est toute la vie devant Dieu. C’est une
attitude qui englobe l’existence tout entière.
Et
donc la 3ème manière d’être vigilants ce sont
tous les engagements du croyant où la Parole prend corps,
silencieusement, auprès de ceux qui sont broyés par la
détresse et le scandale de l’injustice. Quand la Parole
s’inscrit dans des actions au service de l’environnement humain,
spécialement sur les points de blessure de notre société
: blessures conjugales, familiales, sociales, raciales,
psychologiques.
Car
que serait une espérance proclamée qui accepterait sans
autre d’être démentie en permanence par la réalité.
Elle
ne serait pas crédible aux yeux d’un monde qui se méfie
toujours des impostures de la religion. Et le silence de Dieu ne
serait alors qu’un alibi commode au silence des Eglises.
Mais
ce serait pour les Eglises une autre imposture que de profiter de la
détresse et du sentiment d’abandon pour placer les réponses
toutes faites de leur doctrine ou de leur morale. On sait les
méfaits, hier comme aujourd’hui, des officines qui font leur
lit des détresses du monde, qui ont la peur pour fond de
commerce.
Dans
ses lettres de prison Bonhoeffer critiquaient ces prédicateurs
qui exploitent les points faibles de l’homme pour lui prouver qu’il a
besoin de Dieu. « Rien n’est plus abject écrit-il que
ce marché : le Christ ou le désespoir » Réf
[8].. Et il poursuit, et je poursuis avec lui : «
J’aimerais parler de Dieu non aux limites, mais au centre, non à
propos de la mort et de la faute, mais dans la vie et la bonté
de l’homme » Réf [9].
Telle
est la vigilance à laquelle les disciples du Christ sont
appelés. Elle implique de mettre nos pas dans les siens.
On
ne peut être témoin et acteur d’espérance que si,
à la suite du Christ, on prend en charge la désespérance.
Si on l’assume, si on la partage, si on s’y mêle ; sans
chercher à s’en évader comme Pierre en a un moment rêvé
; sans chercher à imposer sa puissance comme les disciples ont
cru pouvoir le faire.
Seul
celui qui suit le Christ serviteur, peut être son disciple. Et
tout l’évangile de Marc le souligne fortement. C’est sur la
route de Jérusalem, dont la croix clôture l’horizon, que
le disciple rejoint son Maître et son prochain. Tel est le
chemin sur lequel le Christ nous appelle à le suivre.
Il
passe par la montagne, lieu de l’espérance, où l’on ne
s’installe pas. Il passe aussi par la plaine, lieu de la souffrance à
laquelle on ne se résigne pas.
Ainsi
le disciple est appelé à cheminer, quitte à être
lui aussi, comme son Maître, écartelé et
disloqué, une main tendue vers le ciel, vers la montagne de la
promesse, et l’autre accueillant et guérissant les douleurs de
la terre.
-
un instant de musique [05] -
-Références
des citations :
Réf
[01] René CHAR.
Réf
[02] Soeur MEREANI, Réforme nƒ2657 du 16.3.96
p.8.
Réf [03] Hannah ARENDT,
De l’humanité dans de sombres temps, in Vies politiques,
Gallimard, 1986, p.35.
Réf [04]
Alain FINKIELKRAUT, L’humanité perdue. Essai sur le XXe
siècle, Le Seuil, 1996, p.156.
Réf
[05] Martin LUTHER, Commentaire de l’épître aux
Galates. Oeuvres XV. Labor et Fides p.45.
Réf
[06] Elie WIESEL, Le Monde du 30 octobre 1986.
Réf
[07] Karl BARTH, Dogmatique, 3ème volume, tome 3ème,
chapitre XI, ß 50. Labor et Fides, 1963, pp. 1-81.
Réf
[08] Dietrich BONHOEFFER, Résistance et soumission.
Labor et Fides p.147, Lettre du 8.6.1944.
Réf
[09] Dietrich BONHOEFFER, Résistance et soumission.
Labor et Fides p.123, Lettre du 30.4.1944.
-
Les instants de musique :
[01]
G. Moustaki. Ma solitude.
[02]
Beethoven. Adagio cantabile de la Sonate nƒ 3 en la majeur, op.
69, pour piano et violoncelle.
[03]
Beethoven. Adagio de la Sonate nƒ 4 en ut majeur pour piano et
violoncelle, op. 101.
[04]
Beethoven. Adagio de la sonate nƒ 1 en fa majeur, op. 5 nƒ
1.
[05] Beethoven. Adagio de
la Sonate nƒ 7 pour violon en ut mineur op. 30, nƒ 2.