Carême 1993 :Le témoignage des EcrituresAUJOURD’HUI, CROIRE Pasteur Jean-Pierre MONTSARRAT , V , "Il leur expliqua dans toutes les Ecritures La semaine dernière, en introduisant le sujet de l’Eglise, je constatai les réticences que ce thème suscite dans tout un courant du protestantisme plutôt allergique aux institutions ecclésiastiques. Personne ne s’étonnera par contre que les Ecritures et leur autorité figurent en bonne place parmi les six thèmes majeurs retenus par la Fédération Protestante pour dire les convictions des Eglises issues de la Réforme. Certes, toutes les Eglises chrétiennes s’accordent sur l’autorité de la Bible. La différence protestante porte sur le caractère exclusif de cette autorité. L’un des grands textes fondateurs des Eglises luthériennes, La Formule de Concorde, adoptée en 1580, affirme : On sait la place occupée par la Bible dans la vie, la catéchèse et le culte des Eglises issues de la Réforme ; on sait le rôle qu’elle a joué dans la piété des fidèles. Chacun a dans l’esprit l’imagination et l’audace dont firent preuve les protestants français pour en conserver l’usage lorsqu’après la Révocation de l’Edit de Nantes, la foi réformée fut interdite. Jusqu’à ce siècle, l’Eglise catholique romaine et les Eglises de la Réforme ont eu des politiques différentes s’agissant de la diffusion de la Bible. Le contraste fut particulièrement évident au XIX° siècle. Du côté protestant, les sociétés bibliques multipliaient les moyens d’édition et de diffusion et privilégiaient les présentations en petit ou moyen format pour que Nouveaux Testaments et Bibles soient plus faciles à répandre et être utilisés par tous. L’Eglise catholique romaine, par contre, entendait rester pleinement maître non seulement de la traduction et de la diffusion de la Bible, mais encore de sa lecture. A plusieurs reprises, le Vatican a condamné le travail des sociétés bibliques tant était grande la crainte que "si on laisse les saintes Ecritures se répandre indifféremment de côté et d’autre, il en résultera, à cause de la témérité des hommes, plus de mal que de bien" (Encyclique "Ubi primum" de Léon XII de 1824, citée par F. Delforge, La Bible en France, Publisud/Société biblique, 1991). Cette réticence catholique romaine à l’égard d’une large diffusion du texte biblique, conjuguée à la méfiance du laïcisme militant antireligieux pour un texte fondateur du christianisme, a fait longtemps de la Bible un ouvrage absent de la plupart des bibliothèques françaises à la différence des bibliothèques anglo-saxonnes ou germaniques. Nous vivons une situation tout à fait nouvelle. La Bible est maintenant à la disposition de tous dans des traductions variées et des éditions diverses, confessionnelles, œcuméniques, profanes... La Bible est un succès de librairie. L’attitude de l’opinion publique à l’égard de la Bible se modifie. On reconnaît que les Ecritures font partie de notre patrimoine culturel et occupent une place légitime dans l’histoire comme dans la littérature, au même titre que l’héritage de l’antiquité gréco-romaine. L’Education Nationale lui fait une certaine place dans ses programmes. On mesure que, sans la connaissance du texte biblique, une partie importante des œuvres artistiques et littéraires deviendrait inaccessible. Or, au moment même où la Bible est présentée à la vente dans les librairies, elle paraît de plus en plus mal connue, de moins en moins lue par les membres des Eglises de la Réforme, bien que ces Eglises continuent de se réclamer avec autant de conviction de la Bible et de la Bible seule. Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Certes, la lecture de la Bible se heurte aux mêmes difficultés que la lecture de n’importe quel autre livre et chacun sait que beaucoup disent ne pas trouver le temps de lire. Elle présente, en plus, des difficultés qui lui sont propres : sa longueur, son caractère parfois déconcertant, les milieux culturels si différents du nôtre dont elle est l’expression. Toutefois, je me demande si le fait que bien des membres de nos Eglises ne lisent plus leur Bible ne tient pas à une autre raison : leur difficulté à se situer par rapport au texte biblique en raison de son statut dans la foi protestante, parce qu’elle est dans leur esprit "La Sainte Bible", même si telle n’est pas le titre qu’elle porte dans l’exemplaire qu’ils possèdent. J’ai le sentiment que cela constitue pour eux un obstacle supplémentaire à franchir au lieu d’être une incitation à la lecture. Pourquoi cela ? Lire la Bible comme n’importe quelle autre œuvre littéraire laisse l’entière liberté de réagir à ce qu’on lit, en l’approuvant ou en le désapprouvant, en s’y impliquant ou en s’en tenant à distance. Par contre lorsqu’on lit la Bible dans l’Eglise, on pense devoir adhérer à tout ce qu’elle dit et la recevoir comme une Parole qui fait autorité. Le lecteur qui se croit tenu à une telle attitude de soumission au texte se sent privé de sa liberté de jugement ou coupable lorsqu’il en use. Etant donné cette situation difficile, il préfère ne pas poursuivre sa lecture si elle suscite en lui questions ou refus. Pensant devoir tout croire, et n’y parvenant pas, découragé, il abandonne. Il en est parmi vous qui m’écoutez qui ne sont pas dans ce cas, j’en suis sà »r. Leur adhésion au texte biblique répond pleinement à leurs convictions et ne rencontre en eux aucun obstacle. Je voudrais surtout m’adresser aux autres, à ceux qui n’ont pas cette disponibilité facile pour tout ce qu’ils lisent dans les Ecritures, et aborder des questions qui , je l’espère, sont les leur. Auparavant, lisons dans l’évangile selon saint Luc un récit dont l’importance me paraît grande pour notre réflexion. Je situe ce texte. Jésus a été crucifié la veille du sabbat. Nous sommes maintenant le premier jour de la semaine, lendemain du sabbat. Les femmes vont au tombeau et le trouvent vide. Un mystérieux messager leur dit que Jésus est vivant. Elles informent les Onze. Ils sont troublés, mais pas convaincus. Ils en sont toujours à l’idée que la croix a été une défaite et que leur espérance est morte. Le récit que je lis maintenant en témoigne. Luc 24/13-32 En route vers Emmaà¼s, Jésus reproche à deux disciples de n’avoir pas compris, à la seule lecture des Ecritures, le sens de sa mort et la réalité de la résurrection. La foi, face à l’obscurité de la croix et du tombeau, devrait pouvoir trouver dans le texte biblique l’éclairage nécessaire pour comprendre pourquoi la souffrance et la crucifixion et pourquoi ne pas perdre l’espérance. Par son enseignement Jésus entreprend de guérir le manque d’intelligence des deux disciples, Il ouvre l’esprit des siens pour qu’ils soient, désormais, à même de découvrir et de saisir tout ce que les Ecritures disent de lui. Le récit de cet enseignement du Ressuscité sur le bon usage de la Bible doit être mis en relation avec la prédication et la catéchèse dans les premières Eglises. Elles ont raconté, expliqué, commenté le ministère de Jésus, les événements de la passion et la croix, l’expérience de Pâques à l’aide des textes de ce que nous appelons l’Ancien Testament. La Bible juive a été la première Bible chrétienne. Pour nous, la Bible ne compte pas seulement l’Ancien Testament. Les Eglises ont progressivement rassemblé une collection de 27 écrits datant des temps apostoliques et des années qui les ont immédiatement suivies. Cette collection s’est imposée comme constituant un ensemble de témoignages faisant autorité sur les sources de la foi chrétienne elle-même. C’est au cours du quatrième siècle que l’accord complet s’est fait sur cette collection qui constitue le Nouveau Testament de nos Bibles. La naissance du Nouveau Testament n’a pas rendu l’Ancien caduque. Le premier grand hérésiarque, autrement dit le premier leader chrétien à dévier de la pratique établie des Eglises, fut un nommé Marcion, dont l’activité se situe vers le milieu du 2° siècle. Il opposait le Dieu des juifs au Dieu de l’Evangile, excluait l’Ancien Testament de la Bible et ne conservait qu’un Nouveau Testament expurgé de tous les textes qu’il jugeait contaminés par l’Ancien. Contre Marcion, les Eglises affirmèrent et maintinrent l’autorité de l’Ancien Testament à côté du Nouveau. J’aborde maintenant quatre questions, souvent posées, à l’intention de ces lecteurs de la Bible qui s’interrogent à propos de ce qu’ils lisent dans cet ouvrage qu’on dit être la Parole de Dieu. Je les formule ainsi : La Bible est-elle la Parole de Dieu écrite ? Pourquoi la Bible est-elle le moyen privilégié dont Dieu se sert pour nous parler ? La Bible fait-elle autorité pour le chrétien dans tous les domaines ? Tous les textes de la Bible rendent-ils également témoignage à l’Evangile ? Les chrétiens, y compris les protestants, ne sont pas unanimes dans leurs réponses à ces questions. Les miennes peuvent heurter vos convictions. Je ne prétends les imposer à personne. Je serai comblé si je vous ai aidé à progresser dans votre propre réflexion. La Bible est-elle la Parole de Dieu écrite ? J’ai toujours été frappé par le début de l’épître aux Hébreux : "Autrefois, Dieu a parlé à nos ancêtres, à plusieurs reprises, et de plusieurs manières, par les prophètes ; mais, dans ces jours qui sont les derniers, il nous a parlé par son Fils". L’expression "ces jours qui sont les derniers" désigne l’étape finale du plan de Dieu, celle dans laquelle nous sommes engagés maintenant, quelle que soit, à vues humaines, la durée de cette étape. Et dans cette étape décisive Dieu nous adresse sa Parole en son Fils Jésus. La Bible n’est pas, en tant que texte imprimé, la Parole de Dieu. C’est en Jésus-Christ, et en Jésus-Christ seul, que la Parole de Dieu prend corps. On dit volontiers des fois juive, chrétienne et musulmane qu’elles constituent les religions du livre. Il ne m’appartient pas de dire si cette expression convient aux juifs et aux musulmans. Elle ne me convient pas en tant que chrétien, même chrétien protestant. L’objet de ma foi n’est pas un livre, mais une personne, la personne du Christ mort et ressuscité. C’est dans son Fils qu’en ces jours qui sont les derniers, Dieu nous parle. La Bible n’est pas la Parole de Dieu écrite. Pourtant, à travers elle, lorsqu’elle est lue et écoutée, cette Parole que Dieu nous a adressée en son Fils peut nous atteindre. La Bible est un instrument dont Dieu se sert pour nous toucher, nous questionner, nous changer et nous conduire à son service. C’est l’Esprit de Dieu qui donne vie, pour nous, et pour la communauté de l’Eglise, à ces textes qui nous viennent de ceux qui nous ont précédés dans la foi. C’est lui qui nous donne d’entendre la Parole et rend témoignage à son autorité, à sa vérité. Pourquoi la Bible est-elle le moyen privilégié dont Dieu se sert pour nous parler ? Si l’Evangile n’était qu’une collection d’idées générales et généreuses sur Dieu et les hommes, s’il n’était qu’une morale de l’amour du prochain, d’autres écrits plus modernes, mieux adaptés au monde contemporain, pourraient sans doute remplacer avantageusement la Bible. Mais tel n’est pas le cas. Au centre de la foi chrétienne se trouve la conviction que le ministère de Jésus de Nazareth, sa souffrance et sa mort, éclairés par les événements liés à sa résurrection sont source, pour tous et pour toujours, d’une inépuisable espérance. Le témoignage de ceux qui racontent et expliquent ce qu’alors ils ont vécu est indispensable à ceux qui vivent de l’Evangile aujourd’hui. L’histoire de Jésus est liée à celle d’Israël. La lecture de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments, son étude et sa méditation nous sont indispensables comme voie d’accès aux événements fondateurs de la foi chrétienne. La Bible fait-elle autorité pour le chrétien dans tous les domaines ? La Bible est lue dans l’Eglise pour qu’elle fasse entrer plus profondément dans le mystère du Christ. L’autorité qui lui est reconnue concerne le témoignage qu’elle rend à l’Evangile. Le Ressuscité, sur le chemin d’Emmaà¼s, apprend à ses disciples à comprendre le témoignage rendu à la croix et à la résurrection. La Bible n’est ni un manuel scientifique ni un ouvrage historique comme on l’entend aujourd’hui. Il ne faut pas confondre la vérité de la Parole de grâce et d’espérance que Dieu nous adresse par elle avec l’exactitude scientifique de tel ou tel récit biblique. Mais tous les textes des Ecritures rendent-ils également témoignage au Christ ? La diversité de la Bible est grande : les textes qui la composent sont différents par leur âge et leur origine, par la langue dans laquelle ils ont été écrits, par les genres littéraires auxquels ils appartiennent. La Bible compte des passages obscurs dont le sens laisse perplexes commentateurs et traducteurs. Inévitablement dans cette grande variété, la lecture de certaines portions nous parle plus que d’autres de l’Evangile. Les premières communautés chrétiennes utilisaient certainement des morceaux choisis de passages de la Loi, des livres prophétiques et des Psaumes particulièrement utiles aux prédicateurs et catéchètes. Toutefois, rien ne nous reste de ces recueils et les arrangements de textes bibliques sélectionnés pour leur caractère évangélique souvent réalisés au cours des siècles ne se sont jamais imposés. L’ensemble de la Bible nous est donné à lire et à connaître. Mais tous les textes, tous les livres ne sont pas à lire de la même manière. Parfois, le chemin qui conduit du texte lu à l’Evangile est court et évident, mais, parfois aussi, long, incertain et hasardeux. Quelle que soit l’inspiration dont ont bénéficié les auteurs bibliques, ils s’expriment avec les mots et surtout les idées de leur époque. Tout ce qu’ils écrivent, y compris ce qu’ils écrivent de Dieu, n’est pas forcément à prendre au pied de la lettre. Ouvrir l’Ancien ou le Nouveau Testament, c’est aller à la rencontre d’interlocuteurs à la fois proches et lointains. Lire la Bible, c’est engager un dialogue parfois difficile qui nécessite comme tout dialogue que nous observions deux recommandations La première : il faut que nous soyons et restions nous-mêmes, sans taire nos questions et nos doutes, sous peine de faire d’un dialogue qui pourrait être authentique une conversation de salon sans conséquence. On raconte que Luther n’hésitait pas à réagir en lisant la Bible et à l’annoter d’exclamations, allant jusqu’à écrire "faux" en marge de ce qu’il lisait ! On sait comment le même Luther disait de l’épître de Jacques que c’est une épître de paille. Le Réformateur usait de liberté pour protester contre ce qui lui semblait incompatible avec l’Evangile de la grâce. Ayons cette même liberté face au texte biblique, comme nous l’avons avec un interlocuteur que nous aimons et respectons et en qui nous avons confiance. La seconde : être nous-mêmes, mais plus encore, pour dépasser les moments d’incompréhension, mieux écouter pour ne pas en rester à un dialogue de sourds, un dialogue manqué. Etre pleinement attentif même à ce qui nous dérange, nous surprend, voire nous heurte. Ne pas nous laisser décourager par des difficultés initiales, faire le pari que notre interlocuteur sait ce qu’il veut dire et que nous pouvons le découvrir. La distance à franchir entre le texte et le lecteur contemporain peut être importante. Nous avons à en tenir compte. Mais la Parole qui nous est adressée est de tout temps et c’est elle que nous cherchons, c’est elle qui nous est promise. Dans ce dialogue avec la Bible, c’est bien la Parole de Dieu incarnée en Christ qui nous rejoint, nous atteint et nous touche. Elle nous questionne et nous bouscule dans nos assurances et nos habitudes, certes. Mais, ce faisant, elle nous construit personnellement ; elle construit l’Eglise. Car elle nous ouvre à un amour, à une espérance à même de changer la vie et les cœurs. Elle nous apporte la lumière de Pâques, comme elle le faisait déjà pour les deux disciples en route vers Emmaà¼s. |