Mon esprit entre tes mains
Jésus
dit en un grand cri : « Père, je remets mon
esprit entre tes mains ». Et ce disant, il expira (Luc
23/46)
Jésus
pousse un grand cri, racontent les trois premiers évangiles,
et aussitôt il expira. Seul Luc, qui a certainement puisé
à des sources particulières, connaît la parole
que ce cri porte, la septième parole de la Croix. C’est
elle que nous méditons au soir de ce Vendredi Saint ().
Cependant écoutons d’abord ce grand cri. Ce n’est
plus le cri de détresse de tout à l’heure ;
ce n’est pas non plus le cri de victoire qui annonce au monde
que « Tout est accompli ». C’est
un suprême témoignage que Jésus veut laisser à
tous ceux qui guettent l’instant de sa mort, à cette
foule, grossière d’abord et avide de sang et qui,
bientôt, s’en retournera à Jérusalem en se
frappant la poitrine, mais aussi à tous les hommes qui, de
génération en génération, s’arrêteront
devant la Croix.
Un grand
cri ! Malgré l’affaiblissement provoqué par
l’atroce souffrance, Jésus est encore plein de vie.
« La
vie, note un commentateur, est divinement enracinée en lui. Il
lui faut, pour mourir, l’arracher lui-même de son corps
avec violence, par une dure décision de sa volonté » ().
Il
convient que nous précisions le sens des termes dont se sert
Jésus, puis nous essaierons, à travers eux, d’atteindre
sa pensée. Il nous restera ensuite à nous demander
quelle résonance la septième parole de la Croix peut
avoir dans notre propre vie.
— 1
—
« Père ! ».
C’est la seconde fois que, sur la croix, Jésus prononce
ce nom. Il ouvre, au début du supplice, la prière qu’il
présente à son Père en faveur de tous les
responsables de ses souffrances et de sa mort. Et maintenant, il
précède la citation d’un psaume que Jésus
a choisie pour envelopper son dernier acte de foi. N’est-ce pas
un poignant mystère qu’entre ces deux invocations si
tendrement filiales l’âme de Jésus ait traversé
une zone de détresse où, la face du Père s’étant
soudain voilée, il n’a pu que s’écrier :
« Mon Dieu, mon Dieu... » ? C’est
qu’il a dû consentir à connaître, à
endurer les souffrances infernales que lui causaient les ténèbres
de son âme plus encore que les tortures de son corps, et à
savourer dans une damnation de solitude le fruit mortel de notre
péché. Mais, à cette dernière minute de
son existence terrestre, la lumière qui, jamais auparavant, ne
l’avait quitté a retrouvé son éclat. Il se
sait le Fils, il n’est plus que le Fils disant au Père
avec une confiance d’enfant : « Père,
je remets mon esprit entre tes mains ».
Et c’est
sans doute parce qu’il veut que l’on sache toutes
ténèbres maintenant dépassées qu’il
prononce ces mots « dans un grand cri ».
Qui donc d’autre que le Père et le Fils sont concernés
par cette parole ? N’y a-t-il pas une sorte d’indiscrétion
à l’entendre ? Le Père seul, nous
semble-t-il, doit la recueillir ! Et voici qu’un « grand
cri » la porte de siècle en siècle
jusqu’aux extrémités du monde. N’est-ce pas
précisément parce qu’elle est autre chose qu’une
émouvante confidence du Fils à son Père, mais un
témoignage dont il va falloir que nous percevions l’écho
dans le cœur de l’Eglise et de ses fidèles ?
Et
pourtant, c’est la première fois que Jésus se
reconnaît sur la croix le droit de penser à lui-même.
Rappelez-vous : il a intercédé pour des coupables,
il a ouvert la porte du Ciel au malfaiteur repentant, il a donné
un fils à Marie et une mère à son disciple, il a
bu jusqu’à la lie la coupe entrevue à Gethsémané,
ses lèvres desséchées ont imploré de quoi
recevoir la force de proclamer l’achèvement de l’œuvre
qui lui était confiée. Son regard a, de la croix,
embrassé les plus proches comme les plus lointains, le peuple
élu qui rejette son Messie et le monde dont le péché
de tous les siècles le cloue au bois d’infamie, mais
pour lequel il donne sa vie. Maintenant il ne regarde plus que le
Père. Les êtres et les choses du temps sont dépassés,
même Marie, debout, le cœur déchiré, près
de la croix. L’amour dont il est éternellement aimé
et dont éternellement il aime, l’amour toujours premier
qui l’a envoyé dans le monde et l’amour par quoi
il répond en étant « obéissant
jusqu’à la mort de la croix » () :
telle est la seule réalité que laisse entrevoir cette
parole si intime qui, parce que criée, devient pour nous une
promesse de vie et de joie : « Père, je
remets mon esprit entre tes mains ».
C’est
encore une citation des livres saints de son peuple que Jésus
fait au moment où il rend le dernier soupir. Comme le cri de
détresse poussé à l’heure du grand
abandon, il l’emprunte à un psaume de David, à
une prière adressée à Dieu dans l’épreuve.
Vous en connaissez tous maintes paroles : « Eternel,
je cherche en toi mon refuge, que jamais je ne sois confondu !...
Incline vers moi ton oreille, hâte-toi de me secourir !...
Tu es mon rocher, ma forteresse ; à cause de ton nom tu
me conduiras, tu me dirigeras... Je remets mon esprit entre tes
mains ; tu me délivreras, Eternel, Dieu de vérité !...
Je serai par ta grâce dans l’allégresse et la
joie... En toi je me confie, ô Eternel ! Je dis : tu
es mon Dieu ! Mes destinées sont dans ta main » ().
Est-ce
céder à un excès d’imagination que de se
représenter Jésus récitant ce psaume en son cœur
tandis que, de l’agonie de Gethsémané à
celle de la Croix, il assistait, le plus souvent silencieux au
suprême accomplissement de ses destinées terrestres ?
Jésus
« remet à son Père son esprit ».
Le psaume 31 est le seul où il soit fait mention de l’esprit
de l’homme. De l’âme les psaumes parlent de manière
constante, mais pas de l’esprit. Pour Calvin et de nombreux
commentateurs, les deux termes ont la même signification. Il
faut toutefois se souvenir que, dans la pensée hébraïque
dont était imprégné le langage même de
Jésus, le mot esprit qui, à l’origine,
exprimait l’idée de vent, avait pris le sens de souffle,
de respiration de Dieu actionnant la respiration de l’homme.
Mais la respiration est le signe et le symbole de la vie. Le mot
esprit en vint à désigner la vie elle-même,
en tant que don de Dieu ().
Ou plutôt prêt de Dieu car, à la mort de
l’homme, selon l’Ecclésiaste, « l’esprit
retourne à Dieu qui l’a donné » ().
Dans cette perspective, la parole de Jésus doit donc
s’entendre : « Père, je remets ma vie
entre tes mains ».
« Entre
tes mains » : d’aucuns penseront que ces
mots sont l’un de ces anthropomorphismes dont usait largement
la religion d’Israël, comme d’ailleurs les religions
païennes, et dont il est souhaitable, assure-t-on, que se
débarrasse notre langage chrétien. Est-il certain,
demanderai-je, que l’homme puisse jamais exprimer les plus
hautes réalités de la vie de l’esprit, non pas
comme des abstractions, mais comme des richesses incorporées à
sa vie, comme des puissances pénétrant et inspirant
tout son être, sans faire appel au langage des formes humaines,
indissociables du fond qu’elles révèlent et
rendent atteignable ?
Les mains
de Dieu ! Je revois au plafond de la Sixtine, la main de Dieu
dont Michel-Ange a voulu qu’un doigt touche Adam appelé
à la vie. « Tes mains m’ont créé » (),
aurait pu, comme le psalmiste, dire le premier homme de notre race.
Que de fois depuis lors « la main de Dieu »
est-elle apparue à l’origine des plus cruelles épreuves
qui aient frappé le peuple de Dieu aussi bien que de ses plus
grandes délivrances ! Et que de fois aussi, dans la
Bible, il nous semble voir les mains ouvertes de Dieu tendues vers
les mains jointes de l’homme !
« Je
remets mon esprit entre tes mains ». Le psalmiste
affirmait ainsi son espoir d’être délivré
de la mort. Jésus, lui, remet sa vie à son Père
à l’instant même où il entre dans la mort
et, par cette seule parole, s’en déclare vainqueur.
Mains du
Père, mains qui accueillent, qui gardent et qui défendent ;
mains qui soutiennent et protègent ; mains qui savent
exprimer toute la force mais aussi toute la tendresse dont les hommes
ont tour à tour besoin. En vérité, tant qu’il
y aura sur la terre des hommes chrétiens, leur piété
la plus profonde, leur amour pour Dieu le plus filial, leur fidélité
la plus résolue se sentiront gardés et bénis par
les mains du Père entre lesquelles, sur la croix, Jésus
remet sa vie.
— 2
—
« Jamais,
remarque Charles Journet, jamais les paroles de Jésus ne
livrent tout de suite tout leur sens ; jamais elles ne livrent
ici-bas tout leur sens » ().
Après ces semaines de méditations, nous sommes prêts,
je pense, à souscrire à cette affirmation. Et nous
savons bien que les paroles de la Croix, comme les Béatitudes,
comme les supplications de Gethsémané, ne nous seront
révélées dans leur signification totale que
lorsque, selon la parole de saint Paul, « nous
connaîtrons comme nous sommes connus » ().
Essayons pourtant d’entrevoir quelques-unes des richesses
qu’enferme en elle la septième parole de la Croix.
Il faut
entendre une fois encore ce nom de « Père »
donné par Jésus à Celui qu’il invoque.
Abba, disait-il dans sa langue maternelle. Tout le mystère
de sa divinité est dans ces deux courtes syllabes, mais aussi
tout le mystère que nous portons en nous. Il suffit que Jésus
dise « Père » pour que l’homme
puisse entrevoir qui il est, lui l’homme, qui est à
lui-même son plus redoutable problème. Car c’est
de nous aussi que Dieu est Père. « Mon père
et votre père », disait Jésus. S’il
est le Fils par essence, nous sommes fils par adoption ().
Mais lorsque Jésus nous invite à prier : « Notre
Père... », c’est bien parce que notre
vraie vocation d’homme, qui ne nous est révélée
que par lui, est d’être élevés, par pure
grâce, de notre misère de pécheurs à la
dignité de fils de Dieu se sachant et se voulant, dans le
Christ, frères les uns des autres.
Tout
l’Evangile est dans ce nom de Père, avec ses appels à
la repentance et la bonne nouvelle du pardon, avec ses exigences de
sainteté, de respect de tout homme, de justice et d’amour,
avec la réalité de la communauté fraternelle où
les enfants du Père s’initient à vivre, non plus
pour eux-mêmes, mais pour les autres, et la splendeur d’une
communion croissante, par le Christ, avec le Père dans l’amour
de qui nous trouvons la garantie de la vie éternelle.
« Père,
je remets mon esprit entre tes mains ». Après
que l’ouragan de détresse ait secoué Jésus
à Gethsémané et au Calvaire jusque dans le
tréfonds de son être, après l’horreur de la
grande déréliction, aurait-il pu y avoir, sur ses
lèvres, une parole exprimant avec une plénitude plus
grande encore « la paix qui surpasse toute
compréhension » (),
dont a parlé saint Paul, et cette sérénité
triomphante qui nous le montre ayant, par la foi, déjà
dépassé la mort. Lui qui promettait le repos à
ceux qui venaient à lui, il va le connaître enfin, il le
reçoit du Père au seuil de l’éternité.
Jésus
ne pouvait pas penser à sa mort sans penser à sa
résurrection.
« Cela
suggère clairement, a écrit Guardini, que Jésus
ne meurt pas de notre mort à nous, de la mort destructrice du
péché, mais d’une autre mort qu’il accepte
des mains de son Père. Il le dit expressément :
« J’ai le pouvoir de donner ma vie et le pouvoir
de la reprendre » ().
C’est
parce qu’il en a le pouvoir, non par nécessité,
qu’il va dans la mort. On comprend mieux, dans ces
perspectives, le récit de la transfiguration... La mort du
Seigneur est liée, dès le début, à la
transfiguration, car il ne meurt pas par pénurie, mais en
plénitude de vie » ().
Je ne
puis m’empêcher de penser parfois au dépit de
Satan voyant et entendant Jésus sur la croix. Et certes, la
Croix nous apparaît comme le chef-d’œuvre du péché
de l’homme, dont ne pouvait que se réjouir le Prince de
ce monde. Et pourtant, pas plus qu’il n’a pu vaincre
Jésus à l’heure de la tentation, il ne l’a
vaincu à Gethsémané ni au Calvaire. Il ne peut
pas empêcher Jésus d’aller jusqu’au bout de
l’amour et donc de la souffrance, et c’est là que
Jésus remporte la victoire.
« La
mort sur la croix, remarque le théologien réformé
Jean Bosc, est acte royal, parce qu’elle est accomplissement de
la justice, établissement de la paix, victoire sur tout les
puissances hostiles. Celui qui a été fait péché
pour nous et a porté, à cause de ce péché,
la malédiction de la mort, a englouti dans sa mort sur la
croix et le péché et la mort. La croix est, si
secrètement que cela soit, lorsqu’on la considère
en elle-même, puissance de Dieu et triomphe du Christ » ().
N’est-ce
pas ce qu’exprime saint Paul lorsque, parlant du grand combat
du Christ, il s’écrie : « Il a
désarmé les principautés et les autorités,
et les a exposées à la risée du monde en les
entraînant à la suite de son char triomphal : la
croix » ().
Cette
victoire que Jésus remporte sur la croix s’achève
dans l’acte de totale remise de lui-même à Dieu
que nous méditons ce soir. Pour celui qui pouvait dire :
« Je suis la vie » (),
la mort, salaire du péché, ne pouvait pas ne pas
revêtir une inexprimable horreur. Cette horreur, Jésus
la dépasse par l’absolu de sa foi. Nous sommes ici à
l’instant dernier où la foi, l’espérance et
l’amour se conjuguent et ne sont plus qu’un seul et même
acte. Mais sommes-nous encore en deçà de la mort ?
N’est-ce pas déjà l’aube de la
résurrection ?
— 3
—
L’évangile
de Luc raconte qu’au moment où Jésus meurt sur la
croix, le voile du Temple, qui séparait le lieu saint du lieu
très saint où seul, une fois par an, pénétrait
le grand prêtre, se déchira alors que commencent les
cérémonies préparatoires à la célébration
de la Pâque. Le lieu très saint devient visible par
tous, ouvert à tous. Symbole de l’abolition de tous les
rites sacrificiels accomplis, dans le sacrifice unique et parfait
offert par Jésus-Christ sur le Calvaire. Mais signe aussi que,
par ce sacrifice, s’ouvre devant tous ceux qui lui donneront
leur foi et leur amour la voie royale dont, le terme est l’accession
à la plénitude de vie et de joie dans l’éternité
de Dieu.
J’aime
cette pensée de Journet disant que « le Verbe
(Jésus-christ) est descendu dans la souffrance, non pour
l’écarter des hommes, mais pour demander à ceux
qui veulent entrer dans la paix infinie de traverser son large rideau
de feu. Il a caché pour nous, ajoute-t-il, dans une croix
devant laquelle nous tremblons toute la lumière du paradis. Du
même coup il a changé la souffrance humaine en
souffrance chrétienne et délivré le monde du
désespoir » ().
La mort
elle-même revêt un autre visage où le chrétien
apprend à déchiffrer le secret de la vie. Et c’est
pourquoi nous pouvons, non pas seulement méditer la septième
parole de la Croix, mais nous l’approprier comme fils du Père
de notre Seigneur Jésus-Christ et dire, nous aussi :
« Père, je remets mon esprit entre tes mains ».
Devons-nous,
pour faire cette offrande de tout notre être dans l’humilité
et la foi, attendre les approches de la mort ? Mais les
discernerons-nous jamais ? Et chacune de nos journées,
avec le soir qui tombe et la nuit qui s’étend sur les
êtres et les choses, n’est-elle pas un appel à
nous ouvrir à la lumière de Dieu qui juge et condamne,
à sa miséricorde qui pardonne et efface, à son
amour qui, au-delà de toutes nos morts et par elles, nous
prépare pour la résurrection ?
Car nous
sommes appelés, nous déclare saint Paul, à
« connaître la puissance de la résurrection »
du Christ, aussi bien que « la communion de ses
souffrances » ().
Dans notre vie de la terre, toujours vécue à l’ombre
de la mort, nous ne pouvons pas ne pas éprouver l’effroi
des choses qui passent et de la fin que bientôt, trop tôt
toujours, sera pour nous notre mort. Mais dans la foi en
Jésus-Christ, et dans cette foi seulement, nous pouvons dire à
Dieu, aujourd’hui, demain et toujours :
« Père,
je remets mon esprit entre tes mains ; je te remets ma vie et ma
mort dans un acte de foi, d’espérance et d’amour
auquel toi seul peux me rendre fidèle ; garde-moi dans ta
paix, même si cette paix « s’affirme dans la
bataille » ()
quotidienne contre le péché, qu’il soit
d’orgueil, d’égoïsme ou d’incrédulité ».
Que de
chrétiens ont vécu et sont morts avec dans le cœur
et souvent sur les lèvres, la septième parole de la
Croix ! Rappelez-vous Etienne, le premier martyr, lapidé
devant le futur apôtre, Paul, et mourant en disant :
« Seigneur Jésus, reçois mon esprit....
Seigneur, ne leur demande pas compte de ce péché » ().
Rappelez-vous
Jean Huss, sur le bûcher de Constance, Savonarole sur celui de
Florence, priant au milieu des flammes les mots mêmes du psaume
prononcés par Jésus sur la croix. Rappelons-nous enfin
tant de disciples du Christ qui, comme saint Paul, s’abandonnant
sans réserve à la volonté de Dieu, auraient
volontiers dit : « Nous aimons mieux quitter ce
corps et demeurer auprès du Seigneur » (),
dans la ferme espérance qu’au-delà de la mort,
ils seront auprès du Christ et qu’avant même la
résurrection, ils auront la joie de sa présence. Eux
tous, regardant en avant, et sachant en qui ils croient, aiment à
redire : « Père, je remets mon esprit entre
tes mains ».
Mais
savons-nous en qui nous croyons ? Un grand nombre de fidèles
souffrent, dans leur vie chrétienne, d’une foi vague,
inconsistante, incertaine. En qui croient-ils ? Que
croient-ils ? Sans doute seraient-ils bien en peine de le dire
autrement que par des phrases parsemées de « peut-être »
et de « que sait-on ? ». Jésus
mourant nous arrache à ces mortels flottements et nous invite
à accomplir, à son exemple et dans sa communion, l’acte
par quoi, dans notre privilège de fils, nous remettons à
« notre Père » la garde de notre
vie. Qui donc la garderait, sinon Lui, au milieu des tentations, des
chutes, des épreuves, dans la souffrance et devant la mort ?
En Lui seul est notre sécurité.
« Si
quelqu’un demande : qu’est-ce qui est sûr, si
sûr qu’on puisse y appuyer sa vie et sa mort, si sûr
qu’on puisse y ancrer toutes choses ? on doit répondre :
l’amour du Christ... Seul, l’amour du Christ est sûr.
Nous ne pouvons pas même dire l’amour de Dieu, car en fin
de compte, c’est par le Christ seul que nous savons que Dieu
nous aime... En vérité, seul est sûr ce qui se
manifeste sur la Croix... » ().
Ces
paroles si authentiquement chrétiennes de Guardini ouvrent la
voie à la conclusion de ces prédications de carême.
Peut-être en méditant avec vous les sept paroles de la
Croix, eussé-je pu et dû donner à leur résonance
en nous une plus grande diversité d’accents ! Vous
me pardonnerez, je m’assure, de m’être avant tout
efforcé de vous faire découvrir la flamme d’amour
qui brille en chacune d’elles, de vous inspirer le désir,
s’élevant jusqu’à la passion, d’en
recevoir en vous le feu. « Je suis venu mettre le feu
sur la terre, s’écriait un jour Jésus. Ah,
que je voudrais qu’il fût déjà
allumé ! » ().
C’est du feu de l’amour qu’il parlait alors, du feu
qui, incendiant l’une après l’autre les âmes
qui veulent être fidèles jusqu’au bout de l’amour,
embrase par elles le monde. Ce feu, c’est de la Croix que,
toujours, il se répand dans l’Eglise pour qu’elle
en soit la première brûlée. Que Dieu permette
qu’à vivre ces semaines si près de Jésus
crucifié nous soyons devenus, plus qu’avant peut-être,
de ceux que brûle, sans les consumer, la flamme d’amour
qui, toujours, jaillit de la Croix !