Carême 2002 : Il y a un temps pour toute choseUn temps pour se taire et un temps pour parlerEcclésiaste 3 verset 1 Parole du Sage du premier Testament de la Bible, Qohéleth : "Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler" (Qo 3/ 7) Et paroles du Sage du deuxième Testament de la Bible, Jacques : Nous voici donc avertis, me voici averti : la langue, l’instrument de la parole, peut être dangereuse. Et donc la parole elle-même, peut être dangereuse et destructrice. Bien sà »r, nous le savons. Nous savons que par une insulte, par un jugement, par une parole dure, nous pouvons détruire quelqu’un aussi sà »rement que par un geste violent. Jésus-Christ l’a dit : "Vous avez appris qu’il a été dit à nos ancêtres : Tu ne dois tuer personne. Celui qui tue quelqu’un, on l’amènera devant le juge. Mais moi, je vous dis : Si quelqu’un se met en colère contre son frère ou sa soeur, on l’amènera devant le juge. Si quelqu’un dit à son frère ou à sa soeur : Imbécile !, on l’amènera devant le tribunal. Si quelqu’un insulte son frère ou sa soeur, cette personne mérite la terrible punition de Dieu" (Matthieu 5/ 21-22). Mais ce que nous dit Jacques, et ce que nous disent d’autres passages de la Bible, c’est que la parole religieuse et la parole pieuse peuvent être aussi dangereuses et aussi destructrices que l’insulte et que toute autre parole violente. Me voici donc averti, moi qui suis chargé d’une parole chrétienne, et vous voici avertis, vous qui l’écoutez. Il vaudrait donc mieux que je me taise, le temps de cette émission... mais il paraît que le silence est insupportable à la radio ! La parole est dangereuse. Pourtant nous savons qu’elle est nécessaire à la vie. Un bébé à qui on ne parle pas ne peut pas se développer normalement, et il se construit difficilement en être humain. La parole sert à entrer en communication ou à la rétablir, tout comme elle peut servir à la détruire. Le silence peut être aussi un moyen de communication, mais il peut être aussi un moyen de la rompre et manifester le refus de la rétablir. Il y a un danger de la parole, et un danger du silence. Il y a un bienfait de la parole, et un bienfait du silence. Le tout est d’en être conscients et d’apprendre à discerner quand il est temps de se taire et quand il est temps de parler. Nous trouvons dans ce qu’on appelle généralement les dix commandements deux commandements qui concernent la parole : "Tu ne prononceras pas le nom du Seigneur ton Dieu à tort (ou pour le mal, ou pour le vide, en vain), et "Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain" (Exode 20 / 7 et 16). Ces deux commandements sont à mettre, bien sà »r, en lien avec ce qui résume toute la Loi, de l’avis de Jésus-Christ : "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur... et ton prochain comme toi-même." Mais ces deux commandements sont aussi très liés à celui qui dit : "Tu ne te feras pas d’image, ni de ce qui est dans le ciel, ni de ce qui est sur la terre..." Avec les mots nous faisons des images, c’est inévitable, et c’est ce qui est dangereux au point d’être parfois mortel. Quand nous parlons des autres, nous produisons des images d’eux. Quand nous insultons quelqu’un, quand nous disons à quelqu’un ce que nous appelons ses quatre vérités, nous lui envoyons à la figure l’image que nous nous sommes forgée de lui. Nous l’enfermons, nous le figeons dans cette image. D’une certaine façon, nous le tuons, car pour nous il n’est plus que cette image figée, que nos mots viennent de décrire, il n’est plus un être vivant en constante évolution. Cela peut avoir des effets dévastateurs, si la personne que nous avons définie en quelques mots accepte l’image d’elle que nous lui avons montrée. Qui dira le nombre d’adultes, qui sont des enfants démolis par quelques paroles dures prononcées par des parents, ou un enseignant, ou des camarades ? Quand nous parlons de Dieu, nous figeons Dieu dans des images. Par exemple : quand nous appelons Dieu "Père". Le père évoque pour nous d’abord l’image du père humain qui est le nôtre. Cette image peut être lamentable, terrifiante, méprisable, écrasante, ou celle d’une absence douloureuse. Quand nous l’appelons, avec certains Psaumes "Dieu mon rocher", que voyons-nous ? Peut-être quelque chose de solide, mais aussi quelque chose de dur, de stérile et d’immobile. Et quelle image nous faisons-nous de Dieu quand nous l’appelons Seigneur, ou même tout simplement Dieu ? Enfin, nous pouvons nous figer nous-mêmes dans des images, par les mots dont nous nous servons pour penser à nous et pour parler de nous, des mots qui nous ont peut-être été dictés par d’autres. Oui, danger de la parole, de toute parole. Et danger en particulier de la parole pieuse, de la parole religieuse. Nous savons bien que la parole religieuse peut être une parole de haine, un appel à la guerre sainte, une formule d’excommunication, c’est à dire d’exclusion, et que ceux qui prononcent toutes ces paroles violentes le font au nom de Dieu. Nous trouvons cela dans l’actualité et cela nous choque, parce que cela réveille la mauvaise conscience historique des chrétiens. Nous y sommes donc particulièrement attentifs, et nous refusons de nous laisser entraîner dans ces paroles-là . Par contre, nous ne nous rendons pas forcément compte que toutes nos paroles religieuses, même nos paroles de consolation, même nos prières, et toutes nos manières de dire ce que nous croyons, oui toutes nos paroles religieuses figent Dieu, et les autres, et nous-mêmes dans des images, et sont dangereuses. Les commandements sur la parole ne concernent pas les gens qui "parlent mal", et ils ne concernent pas seulement ceux qui usent de paroles violentes. Ils concernent surtout les gens qui prient et les gens qui prêchent, ceux qui parlent à Dieu et ceux qui parlent de lui. Ceux-là sont particulièrement exposés à désobéir à ces commandements. Il n’est pas évident de discerner le temps de se taire et celui où il faut risquer une parole. Je vais essayer de le montrer par plusieurs textes bibliques. Tout le monde connaît le personnage de Job, l’homme qui perd tout en même temps : enfants, fortune, santé, et tout ce qu’il croyait savoir de Dieu et de la vie. Voici ce que nous dit la Bible : "Trois amis de Job ont appris tous les malheurs qui sont tombés sur lui. Ce sont Elifaz de Téman, Bildad de Chouha et Sofar de Naama. Chacun est arrivé de son pays. Ils se sont mis d’accord pour partager sa peine et le consoler. Ils l’ont vu de loin, mais ils ne l’ont pas reconnu. Alors ils se sont mis à pleurer à grands cris. En signe de tristesse, chacun a déchiré son vêtement et ils ont jeté en l’air de la poussière qui est retombée sur leur tête. Puis ils se sont assis par terre avec lui pendant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui a parlé. En effet, ils voyaient que sa souffrance était très grande. Après tout cela, Job s’est mis à parler. Il a maudit le jour de sa naissance..." (Job 2/ 11 - 3. 1). Le silence des amis de Job ne console pas Job, mais il exprime un respect et une communion. Le silence de Job est une révolte contenue qui va éclater en paroles. Le problème, c’est que les amis de Job se mettent à parler pour répondre aux paroles de la révolte de Job. Ils vont prononcer de très belles paroles, très pieuses, très "orthodoxes". Mais ce sont des paroles toutes faites, faciles, qui enfoncent Job, parce qu’elles cherchent à innocenter Dieu de la souffrance de Job. Ils veulent démontrer à Job qu’il a tort de se révolter, et qu’il ferait mieux de se repentir et de se résigner. Nous trouvons là la parole où le croyant se réfugie pour fuir les questions, pour cacher son trouble et son absence de vraie réponse devant la souffrance. C’est la parole pieuse qui dissimule l’embarras, le vide, l’ignorance et la peur. C’est une parole destinée à rassurer celui qui la prononce, et non à consoler celui qui souffre. Disons-le : Il y a un véritable terrorisme de la parole pieuse, celle qui est destinée à faire taire, à évacuer, à nier les questions, les douleurs, les évidences. Job ne supporte pas cette parole et il le dit : "Tout ce que vous savez, je le sais aussi, je ne suis pas plus bête que vous. Mais moi, je veux parler au Dieu tout-puissant, je veux me défendre contre lui. Vous, vous n’êtes que des charlatans, vous êtes de faux guérisseurs. Si seulement vous pouviez vous taire, ce serait une preuve de sagesse. Ecoutez donc mes reproches, faites attention à ce que je dis pour me défendre ! Est-ce que vous pouvez prendre la défense de Dieu en disant des choses fausses ? Est-ce que vous le servez vraiment par vos mensonges ? Est-ce que vous prenez vraiment son parti ? Est-ce que vous êtes les avocats de Dieu ?" (Job 13/ 2-8). Job refuse de se laisser réduire au silence. Il préférerait le silence de ses amis à leurs paroles toutes faites. Job ne se plie pas aux convenances, à la bienséance. Il parle parce qu’il refuse de se laisser enfermer dans les schémas tout faits d’une doctrine culpabilisante. Pour lui, garder le silence serait consentir à la mort. Sa parole est un combat pour vivre. Et la doctrine qu’on lui assène en guise de consolation est la mort pour lui. Pour aller dans une autre direction, retrouvons notre ami Qohéleth : Attention à ce que tu fais quand tu vas à la maison de Dieu ! Vas-y pour écouter. Cela vaut mieux que d’offrir des sacrifices comme les sots. En effet, ils ne savent pas qu’ils agissent mal. Ne parle pas trop vite et ne te dépêche pas de faire des promesses à Dieu... Il vaut mieux ne rien promettre que de faire une promesse sans la tenir. Evite les paroles qui te font commettre une faute. Ne sois pas obligé de dire au prêtre : "Je me suis trompé." Sinon, Dieu va se mettre en colère à cause de ce que tu as dit, et il détruira ce que tu entreprends. On parle beaucoup pour ne rien dire, quand on rêve trop souvent. Il vaut mieux respecter Dieu. (Qo 4/ 17 - 5 /1, 4- 6). Qohéleth nous appelle une fois de plus à la lucidité. Et cette fois-ci, il s’agit de la lucidité à l’égard de la prière et toutes nos paroles devant Dieu. Il faut peut-être parler ici du rôle de l’émotion dans ce domaine. Nous ne sommes pas seulement des cerveaux. Dans certaines circonstances de nos vies, l’emprise des émotions est si forte que nous prenons des décisions graves, qu’il nous arrive de regretter ensuite. Dans certains rassemblements chrétiens, on cherche à créer une ambiance émotionnelle forte, pour qu’un maximum de personnes prononcent des promesses qui engagent toute leur vie. Je n’insiste pas. Je note que Qohéleth préfère l’écoute, et donc le silence aux paroles qu’on peut prononcer à la maison de Dieu. Et il me plaît que le culte réformé soit destiné à proclamer les promesses de Dieu plutôt qu’à obtenir des promesses de la part des humains ou à faire de grandes déclarations d’amour à Dieu. Qohéleth nous rend attentifs au problème de l’enthousiasme, ou de l’emballement, si l’on veut bien d’un terme populaire. S’emballer, se laisser emballer, dans le domaine spirituel comme dans tous les autres, c’est se ficeler ou se laisser ficeler. Cela ne se produit pas que dans les sectes. Mais à côté du problème de l’enthousiasme, il y a aussi celui de la liberté et du conformisme. Le livre des Actes des Apôtres nous raconte l’histoire d’Ananias et de Saphira (Actes 5 / 1-11). Ananias et Saphira sont un couple qui fait partie de la toute première communauté chrétienne, celle de Jérusalem. On nous dit que des membres de cette communauté ont vendu tous leurs biens et ont apporté le produit de cette vente dans la caisse de la communauté, dans un esprit de communisme chrétien. Ananias et Saphira vendent aussi une propriété, mais n’apportent qu’une partie du produit de la vente à la caisse commune, apparemment en voulant faire croire qu’ils ont tout donné. Les deux meurent l’un après l’autre, après avoir été interrogés par l’apôtre Pierre. Dans ce texte des Actes, la communauté chrétienne est appelée pour la première fois l’Eglise, et elle reçoit ce nom au sujet d’une histoire où l’on trouve à la fois l’argent, la parole d’inquisition, le rejet, et la mort. Ananias et Saphira ont voulu imiter d’autres membres de la communauté. Ils n’étaient pas obligés de vendre leurs biens. Ils n’étaient pas obligés de donner tout le produit de la vente, ni même de donner quoi que ce soit. Ils pouvaient donner ce qu’ils voulaient, sans le cacher. Ils ont menti, ils ont donné une partie du produit de la vente en disant qu’ils donnaient le tout, comme les autres. Mais quelle liberté se sentaient-ils ? Quelle place se voyaient-ils accordée ? Pourquoi se sont-ils sentis obligés de jouer un rôle, de vouloir être comme les autres ? Leur problème, cela a été de ne pas oser dire leurs capacités, les limites de leurs possibilités, de leur générosité, de leur confiance. Ils ne se sont pas sentis libres de dire la vérité. Ici il n’y a pas silence mais dissimulation. La parole faussée, comme le silence, peut être le masque d’un mal-être, d’un malaise. C’est la mort si on ne peut pas se dire en vérité, dire la vérité, exprimer ce qu’on est en vérité, avec les limites qu’on a. La mort d’Ananias et de Saphira, c’est aussi un coup mortel à la communauté de Jérusalem. C’est peut-être l’indice que cette communauté était déjà morte, puisque au moins ces deux-là se sont cru obligés de prononcer une parole pieuse, une consécration qui était au-dessus de leurs possibilités intérieures, si ce n’est matérielles. La parole engage, elle compromet. On a le droit de dire "oui" et de dire "non", ainsi que le dit le Christ : "Dites simplement oui ou non. Ce qu’on dit en plus vient de l’esprit du mal." (Matthieu 5/ 38). Dieu accepte ce qu’on peut, ce que je peux lui engager lucidement. Je ne peux pas être fidèle à Dieu, si je ne suis pas fidèle à moi-même d’abord, si je ne m’accepte pas avec les limites de ma foi, avec toutes mes limites, si j’essaie d’imiter quelqu’un d’autre. Le Seigneur accepte l’offrande, quelle qu’elle soit, si on la fait lucidement, en fidélité avec ce qu’on est et avec ce qu’on peut faire. Pour terminer sur les paroles pieuses, je voudrais rappeler les paroles du Christ sur la prière : "Quand vous priez, ne parlez pas sans arrêt, comme ceux qui ne connaissent pas Dieu. Ils croient que Dieu va les écouter parce qu’ils parlent beaucoup. Ne faites pas comme eux. En effet, votre Père sait ce qu’il vous faut, avant que vous le demandiez " (Matthieu 6/ 7-8). Beaucoup de chrétiens sont malheureux au sujet de la prière. Ils pensent et disent qu’ils prient mal, qu’ils n’ont aucune joie à prier, que cela leur est difficile. Certains ont peur de ne pas prononcer les bonnes formules. D’autres sont impressionnés par des gens qui prient facilement, alors qu’eux-mêmes sont obligés de se battre pour trouver des mots ou pour ne pas se disperser. Mais il arrive qu’on prie pour s’écouter prier, et non pour parler à Dieu, surtout quand la prière semble facile, tout comme on peut lire les mots d’une prière sans les penser vraiment. Il vaut mieux alors se taire. Une prière difficile, une prière où les mots n’arrivent pas à passer du coeur au cerveau, ni du cerveau aux lèvres, une prière qu’on s’arrache à grand peine, est sà »rement davantage une vraie prière chrétienne. C’est un grand lecteur non chrétien de l’Evangile, Gandhi, qui nous le dit : "Il vaut mieux mettre son coeur dans la prière sans trouver les mots que de trouver les mots sans y mettre son coeur." Il y a un temps pour se taire, et un temps pour parler. Je viens de parler longuement des dangers de la parole pieuse. Il y a aussi un danger du silence. Au Psaume 32, nous lisons ceci : "Tant que je me taisais, mon corps s’épuisait à grogner tout le jour. Nuit et jour, ta main pesait sur moi, et j’étais faible comme une plante brà »lée par le soleil." Le silence à l’égard de Dieu et des autres, c’est la pensée qui tourne en rond sans trouver d’issue, la macération des sentiments et des ressentiments, l’enfermement, l’enfoncement. Il n’y a pas de guérison possible sans parole. Dans le cas de l’auteur du Psaume, il s’agit de culpabilité remâchée. La prière, c’est l’ouverture confiante à Dieu. Prier, c’est donner à Dieu la permission d’agir. Les protestants ignorent souvent que parfois, pour parler à Dieu, il faut parler à un autre, et que la confession est une aide que Dieu nous offre. Et certains s’enferment dans leur solitude, se privent de la tendresse de Dieu et de l’amour fraternel qui en est un signe. Les psychothérapies font peur aux croyants comme aux autres, et pourtant un croyant a le droit d’y voir aussi une aide que Dieu lui offre, car tous nos problèmes ne sont pas des problèmes de relations avec Dieu. Il est possible que le temps de silence, de macération, d’enroulement sur soi soit nécessaire, pour un travail de décantation et de tri. Mais il faut que "ça" sorte, sinon "ça" empoisonne. Il y a un temps pour se taire, et un temps pour parler, dit Qohéleth. Il existe un silence-communion, dans les couples, entre amis. Il existe de ces moments où l’on n’a pas besoin de parler pour se dire beaucoup de choses. Mais nous savons aussi qu’un grand silence, un grand non-dit peut se cacher sous des paroles. Nous l’avons vu dans le cas d’Ananias et de Saphira. Faut-il parler longuement ici du silence qui s’installe dans les couples, ou chez l’un des conjoints, dans un groupe, une paroisse ? Il existe un silence qui enferme dans la solitude, la solitude souffrante, malheureuse. C’est le silence des détresses intérieures, de la crainte, de la méfiance, du mépris, de la haine, de la peur de blesser. C’est le silence du sentiment que "cela ne sert à rien". C’est pour éviter cela que l’auteur de la lettre aux Ephésiens écrit : "Ne mentez plus. Chacun doit dire la vérité à son prochain... Ne gardez pas dans votre coeur le mal qu’on vous a fait..." (Eph. 4 / 25 et 31). Et Jésus lui-même dit : "Si ton frère te fait du mal, va le voir et fais-lui des reproches quand tu es seul avec lui." "Encaisser" les coups en silence, ce n’est pas toujours aimer l’autre. Ce silence-là , s’il ne cache pas une autodestruction, aboutit à l’éclatement d’une haine qui a grandi sous les humiliations. Peut-on aimer l’autre comme soi-même, si on ne s’aime pas soi-même ? Dire qu’on a mal, dire qu’on a été outragé, c’est aimer. Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler, dit Qohéleth. "S’ils se taisent, les pierres crieront !" dit le Christ à ses opposants qui voudraient faire cesser les acclamations de ses disciples (Luc 19/ 40). Je voudrais achever ce message avec ces paroles du Christ. La communauté chrétienne a reçu un message à transmettre à l’humanité entière. Ce n’est pas un message de morale. C’est l’attestation que Dieu est vivant et qu’il fait vivre, c’est le témoignage qu’avec le Christ et par son Esprit une résurrection commence pour ceux qui l’accueillent, c’est l’appel à une réconciliation avec Dieu, avec les autres, avec soi... C’est l’affirmation de l’éminente dignité de l’être humain dont Dieu a pris le visage. Et c’est beaucoup d’autres choses. Je ne détiens pas d’autorité particulière dans mon Eglise pour dire cela, mais je dis qu’il est temps maintenant que les chrétiens et les Eglises sortent du silence auquel on a voulu les condamner pour les punir de leur hégémonie passée, et qu’ils ont accepté par sentiment de culpabilité, ou par perte de conviction et de ferveur. Quand les chrétiens disent : "Notre manière de vivre témoigne", ils sont très prétentieux car leur comportement n’est pas forcément extraordinaire. Mais cela cache parfois la honte d’être chrétien, la honte du Christ, le refus de partager l’opprobre du Christ. C’est la parole qui singularise, qui engage, qui fait partager le sort du Christ. Les actes valorisent souvent ceux qui les font, alors que la parole marque la différence, expose et marginalise. Ne laissons pas les pierres de nos églises en ruines ou transformées en musées crier à notre place. Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler, dit Qohéleth. Voici venu le temps de parler de la part du Christ, je crois, avec nos mots limités, nos mots insuffisants, nos mots-images, nos mots indispensables. Je vous invite à la prière : O notre Dieu, Tu es vivant Garde-nous Amen. (D’après Alain ARNOUX, Passages, Réveil Publications, 1998) |